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aussi. Le colonel Jacques sait que sa demande pressante de renforts n’a pu encore atteindre l’amiral. Il ne montre aucune émotion, fait annoncer à l’Est et au Nord qu’il envoie des renforts à la contre-attaque, et ordonne qu’on reprenne tout de suite ce qu’on a perdu… À ce moment débouchent providentiellement sur la place cent cyclistes de la 3e division qui viennent se mettre à la disposition du colonel. Celui-ci ne les laisse pas descendre de leurs machines, les lance aux points menacés, les chargeant avant tout de crier en arrivant que « les autres sont là ! »

Les autres étaient encore loin. L’amiral Ronarch, ayant reçu l’appel du colonel Jacques, avait tout de suite chargé le lieutenant-colonel Leestmans de courir au feu avec les six compagnies du 11e qu’il tenait en réserve. Celles-ci s’avançaient par la route de Caeskerke, lorsque, à la hauteur de la gare, l’artillerie allemande, qui les avait repérées, les arrêta par une véritable rideau de fer. Des hommes se jetèrent dans les fossés. Leestmans ne se fâcha point, mais il se fit soudain plus brave, plus haut, plus noble encore. Il cria : « Vive le 11e ! En avant ! » Et tous ses soldats le suivirent sous l’averse de feu.

Il y eut alors une chose sublime. Le colonel Meiser, chef de la brigade, qui se tenait dans une maison de la route, entre la gare et le pont de l’Yser, s’avança devant la porte pour voir passer ses enfans. Combien de fois avaient-ils lutté ensemble ? Combien de fois avaient-ils ensemble offert leurs âmes et leur sang ? Les deux bataillons, électrisés, défilent devant Meiser, comme à la parade. A chaque pas en avant, il y a un homme qui tombe. On ne s’arrête point. Soudain, un jeune volontaire de dix-sept ans, qui jette un cri de joie, roule, frappé, aux pieds du vieux soldat, qu’il acclame. Son cri se change en un appel : « Maman ! Maman ! » Et il meurt en baisant la terre.

Il était cinq heures quand, ayant franchi le pont au pas gymnastique, parmi les bravos des fusiliers marins, le colonel Leestmans rejoignit le colonel Jacques. On continuait à se battre avec rage, — mais aussi à demander du secours. Trois des compagnies fraîches furent envoyées au Nord sous les ordres de commandant Borms, les trois autres à l’Est avec le commandant Decamps. Une demi-heure après, les Allemands se retiraient de nos lignes en grand désordre. Dixmude était délivrée.

Le crépuscule tomba. Un crépuscule d’octobre, rouge et