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du brouillard, dévoilait régulièrement son feu tournant : Dunkerque, un peu de paille, la trêve, la fin provisoire de tant de misères, — le repos… C’est alors…

C’est alors que, d’un bout à l’autre de la colonne, un ordre courut. On s’arrêta. Devant La Panne, assis sur les sacs, un régiment de ligne attendait. Je causais avec des soldats. J’entendis un officier auprès de moi dire à ses hommes : « Mes enfans, ce n’est pas encore le repos, il y a encore un petit effort à donner sur l’Yser… Un petit effort, » répétait-il. Il avait pitié d’eux, tout en étant sûr d’eux ; il leur parlait avec cette douceur si émouvante chez ceux qui doivent être durs d’habitude, et qui ont souffert. — « Nous avons déjà fait tant de choses, mon commandant, dit un sergent, nous ne pouvons plus… » Mais tout aussitôt ils s’en retournèrent.

Seules continuèrent vers la France nos troupes dites de forteresse, miliciens des vieilles classes, employés, pendant la première partie de la campagne, à occuper à Anvers l’arrière et les intervalles des forts. Braves, mais n’ayant pas la cohésion de l’armée active, la retraite les avait désorientés et un peu débandés. On les vit pendant plusieurs jours, mêlés aux paysans en fuite, encombrer les chemins de la frontière, les routes de Calais, où on les rallia. Ils étaient quelques milliers que l’épreuve avait rendus lamentables, dont le ressort, semblait-il, avait été momentanément cassé. Ils se ressaisirent d’ailleurs sans tarder. Mais, pendant une semaine, ils donnèrent aux populations du Nord l’impression, — on ne voyait qu’eux, — que l’armée belge était au front remplacée par des troupes fraîches des nations alliées, — et que l’armée belge était finie.


II

Le 15 octobre, l’armée de campagne était installée sur l’Yser. Le Roi venait de lui adresser sa proclamation fameuse : « Soldats, voilà deux mois et davantage que vous combattez pour la plus juste des causes, pour vos foyers, pour l’indépendance nationale. Vous avez contenu les armées ennemies, subi trois sièges, effectué plusieurs sorties, opéré sans pertes une longue retraite par un couloir étroit. Jusqu’ici vous étiez isolés dans cette lutte immense. Vous vous trouvez maintenant aux côtés des