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LA BATAILLE DE L’YSER[1]


I

Les journées qui suivirent le 7 octobre 1914 compteront parmi les plus tragiques de l’histoire de Belgique. L’évacuation d’Anvers avait commencé dans la nuit. Silencieusement et en bon ordre, l’armée avait franchi l’Escaut sur le pont de bateaux de Sainte-Anne, et cheminait, par le Nord de la Flandre, vers la côte. Le Gouvernement était parti pour Ostende. Le Roi marchait avec ses troupes, cantonnant dans les villages au milieu d’elles. A l’arrière grondait, en un fracas ininterrompu, le bombardement de la forteresse. Au Sud, les canons allemands forçaient le passage de l’Escaut, et d’épais régimens montaient déjà vers Lokeren. Il fallait les contenir énergiquement pour ne pas être coupés ou rejetés en Hollande. On allait, entre leurs masses grandissantes et la frontière, hommes, chevaux, canons, matériel, équipages, serrés comme en un couloir, sans cesse menacés sur la gauche, ne disposant que d’une ligne de chemin de fer à voie unique. Le 9, à midi, le bombardement cessa. On sut qu’Anvers allait tomber. La 2e division d’armée restée dans la ville et les marins anglais arrivés le 5 pour renforcer la garnison avaient pris, à leur tour, à travers les périls croissant, le chemin de la retraite. Heureusement, la 7e division britannique et la brigade française des fusiliers marins inquiétaient-elles devant Gand le

  1. J’ai utilisé pour écrire ces pages, outre des documens officiels inédits, le Rapport du commandement de l’armée belge publié récemment, des souvenirs personnels, des lettres d’officiers et de soldats, des récits qui m’ont été faits dans les tranchées. J’ai recouru souvent à la documentation sûre et substantielle de l’auteur anonyme d’éloquentes Pages de Gloire parues naguère dans le Courrier de l’armée belge et réunies ces jours-ci en brochures par l’éditeur Berger-Levrault.