Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous. Ce village, « un beau soir d’avance, » on en chasse les dragons de Wurtemberg. Nos cavaliers le tiennent toute la nuit, toute la matinée suivante. Mais, autour de ce saillant, la bataille augmente d’intensité : sur trois faces, les bataillons bavarois resserrent leur menace d’encerclement. Donc, les cavaliers reçoivent l’ordre de retourner en arrière. « Et voici, le lendemain, qu’une longue file d’évacués croise la colonne ; les misères habituelles passent, avec des airs familiers. Une femme, menant un lot d’enfans, s’arrête : — Tiens, tu vois, ceux-là étaient chez nous… Puis elle explique : — Vous savez, notre maison, où vous avez mangé, ils sont revenus derrière vous et ils ont mis le feu partout… Nous nous taisons. La femme regarde les chevaux, les carabines, les hommes et, sans colère, avec une résignation un peu surprise, demande seulement : — Pourquoi est-ce que vous êtes partis ?… Pour oublier cela, il faut aller vite et loin chez les autres ! » M. Maurice Gandolphe insiste sur l’atroce difficulté de faire la guerre chez soi, d’avoir cette tâche : reprendre, avec les instrumens dévastateurs de la guerre moderne et contre un ennemi sauvage, des villages et des villes que nos frères, citadins et paysans, n’ont pas tous évacués. « Tant que nous allons par-dessus ce qui est nôtre, l’attaque, la belle attaque qui est la joie des combats s’alourdit d’angoisse et de détresse. » Il avertit les « gens de l’arrière, » qui s’étonnent de la lenteur et des retards…

Abominable guerre, et cependant sainte. La dernière impression que laisse le livre de M. Gandolphe est celle-là. Le sol, plus âprement disputé, reconquis lopin par lopin, une motte de terre après une autre, est consacré à jamais. Cette vérité, un mot sublime l’interprète. Après un échec local, je ne sais où, le général réunit son état-major ; et, sur la carte, on examine la situation. C’est dommage, dit un capitaine, que nous ne tenions plus ce village. Et le général, très simplement : « Ne dites pas que nous ne tenons plus ce village ; nous avons là douze cents tués de chez nous : ils tiennent la position, en nous attendant. » Au crépuscule, le village fut repris et la « garnison des morts » relevée.

Les historiens, plus tard, feront leur profit de Six mois de guerre en Belgique, par un soldat belge, Fernand-Hubert Grimauly, artilleur cycliste à la 101e compagnie. C’est un récit très original, d’une évidente vérité, d’une spontanéité presque naïve. Le sentiment qui domine dans ces pages, c’est la colère d’un pays loyal et dupé, la haine de la fourberie allemande, la rancune. L’artilleur cycliste a rendu avec beaucoup de justesse l’effroi et le désir de vengeance dont frissonne aux premiers jours la Belgique trahie par les Boches : elle