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hardes et que sur les dalles les sabots des bambins claquaient. Pour économiser le pétrole, on n’allumait les lampes que fort tard, et la mélancolie crépusculaire enveloppait ce tableau de Téniers. »

Les hussards sont à Ypres ; et puis notre hussard n’y est plus. La tête lourde, la fièvre au corps et l’esprit délirant à demi, il a senti qu’on l’emportait, qu’on le plaçait dans une automobile ; le vent le fouettait ; et il apercevait les halles d’Ypres qui flambaient. On l’a mis dans un train. Plus tard, on l’a mis dans un lit, dans du linge blanc et dans du silence. Il a entendu, près de lui, une voix merveilleusement douce et qui venait d’une cornette de bonne sœur. Il s’est apaisé ; il s’est guéri et, faible encore, tout languissant de corps, non de pensée, et même avec une acuité singulière, il a discerné le subtil détail de ses souvenirs qui lui apparaissaient comme à la flamme d’un éclair. Il les a fixés sur le papier en phrases nettes, en phrases ingénieuses et pimpantes, et en phrases qui font la nique à toute peine, à toute crainte et à tout marasme, et la nique aux Boches.


Je disais que la guerre avait emmené avec elle ses annalistes, les écrivains dont elle fit des soldats. Mais, prodigue, elle en tua beaucoup. Et, comme elle improvisait des soldats, elle improvisa aussi des écrivains : l’un d’eux, pour son coup d’essai, donne un chef-d’œuvre. M. René de Planhol, lui, partit pour la guerre avec son talent : on connaissait le charmant recueil de ses contes emblématiques, L’Esclave et les ombres, où la rêverie et l’idéologie composent de précieux rébus de pensée, ornent de poésie les mystères de l’âme et offrent au vieux chagrin du monde un nouveau divertissement. Mais on ne connaissait pas M. Marcel Dupont : lui-même se connaissait-il ? Officier de légère, il aimait son métier. Un jour, pendant que l’ennemi bombarde Reims, il a quelques heures pour entrer dans cette ville où naguère il était en garnison ; et il revoit son logement d’officier, sa chambre, son cabinet de travail, le livre qu’il lisait à la dernière minute : — un Baudelaire ; et, adorant Baudelaire, il n’est aucunement baudelairien ; — ses paperasses, les feuillets sur lesquels il se promettait « d’écrire de belles choses » et n’écrivait rien. La guerre l’a séparé de tout ça : et, en pleine guerre, il combat certes, et il écrit En campagne, qui est le chef-d’œuvre que je disais.

Dans son avant-propos, il annonce que son volume ne contient ni études tactiques, ni considérations critiques sur l’ensemble de la guerre : lieutenant de chasseurs, il ne prétend pas à dominer les