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défendent la France : un sol et une âme. Je crois qu’aux plus terribles momens, lorsqu’on ne parvenait pas à préserver le sol, il leur a été doux d’affirmer l’intégrité de l’âme ; et, quand la victoire de la Marne leur eut donné toute certitude, l’âme intacte se plut à célébrer la prochaine libération du sol.

Leurs petits volumes sont de l’ouvrage bien français. Que de délicatesse et de gentillesse ! que d’aisance et d’alacrité ! Dans le ton, que de naturel ; souvent, que de grandeur ; et toujours, que de sensibilité, mais pudique, si l’on peut dire, et qui laisse deviner ses alarmes plutôt que d’y insister ; que de raison I Ni déclamation dans les mots, ni emphase dans la pensée ; point de sauvagerie, et ni rien qui ressemble à cet orgueil morbide des Germains : de la pitié, de la bonté, comme en ont les forts et les braves.

Maréchal des logis de hussards, M. René de Planhol eut à rejoindre son régiment, dès le premier jour de la mobilisation, dans une petite ville de l’Ouest, une bonne petite ville qui, en temps ordinaire, s’anime seulement pour les foires et qui soudain tressaille : « Artisans et rentiers, blouses bleues et vestons, forment des groupes mêlés où les voix retentissent et les cannes se lèvent. Les portes des maisons s’ouvrent et montrent des hommes porteurs de valises ou de baluchons. Épouses et mères escortent jusqu’à la gare les maris ou les fils qui s’en vont. Des cortèges défilent, drapeaux déployés, et clament la Marseillaisev.. » Voilà le début de la guerre et des Étapes et batailles d’un hussard. Le hussard a de bons yeux. Il note précisément ce qu’il a vu. Il a vu le curé cheminer en compagnie de l’instituteur ; et il a vu qu’au seuil des boutiques les gens ne s’étonnaient pas de cette réunion. Puis, de toute la France, les journaux apportent l’assurance « d’une même bonne volonté… » Les hussards s’en vont de nuit. Les bâtimens du quartier sont éclairés par des lanternes. Sous la voûte, une petite fille tend au colonel un large bouquet tricolore. Le régiment s’ébranle et, avec le vacarme de ses trompettes, défile au milieu des ovations. Il part, il ne sait pas où il va. Il est en Lorraine au bout de quelques jours et se tient sur les coteaux qui, au Nord-Est, protègent Nancy. « En face de nos soldats s’étendait, ondulée de vallonnemens, la plaine où, là-bas, le ruisseau de la Seille séparait les deux patries. Ils couchaient sous les arbres, et la lune éventait de tiédeur les nuits brèves. Au cours des journées torrides, ils sommeillaient encore, se déshabillaient à demi, séchaient leur linge au soleil des bombardemens lointains, vers Pont-à-Mousson et Nomény, expiraient sourdement dans l’air léger. Suscitant de vaines fusillades, des