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établissant qu’en ayant l’air de le combattre, vous le favorisez ! Le chancelier bondit.

— Si ce document existe, c’est un faux, le prie Votre Majesté de me le communiquer, afin que j’en poursuive l’auteur.

— Il vous sera communiqué, promit l’Empereur d’un accent radouci, et je serai heureux d’avoir la preuve qu’il est apocryphe.

Puis il continua :

— Il y a aussi l’Autriche avec qui vous êtes d’accord. Je ne puis cependant accepter qu’elle contrecarre mes légitimes revendications en Bulgarie.

— Je suis sûr de la sagesse du Cabinet de Vienne, répondit Bismarck, il ne déclarera pas la guerre à la Russie. Mais Votre Majesté n’ignore pas que, si l’Autriche était attaquée, nous sommes engagés par traité à la soutenir.

Le Tsar garda le silence comme s’il voulait laisser tomber la colère dont il n’avait pas été maître et qui faisait dire au chancelier au sortir de l’audience :

— Il était si animé qu’il a allumé successivement six cigarettes et les a brisées sur la table.

L’entretien se continua sur un ton plus calme. Alexandre III était un homme tout de premier mouvement, incapable de garder longuement rancune et d’ailleurs, le chancelier ayant affirmé que les documens bulgares étaient faux, l’Empereur lui eût fait injure en affectant de mettre en doute sa parole. Il convient d’ajouter que leur authenticité n’a pas plus été prouvée que leur fausseté. Il fut alors question de poursuivre le falsificateur, mais il semble bien que tout se soit borné à la protestation du prince de Bismarck, Si des recherches furent faites, elles n’aboutirent pas. Lorsque, par la suite, le chancelier parlait de cette affaire, il laissait entendre que c’était un véritable complot ourdi contre lui par les ennemis qu’il comptait à la Cour de Berlin dans l’entourage de l’Empereur. Si ce n’était pas vrai, c’était du moins vraisemblable.

Entre temps, l’état de l’empereur Guillaume devenait de plus en plus inquiétant. Chaque matin on se demandait s’il serait encore vivant le soir. Indépendamment du danger de mort que faisait planer sur lui sa vieillesse, il souffrait de la vessie ; la morphine dont usaient les médecins pour le soulager lui enlevait l’appétit ; il s’assoupissait fréquemment et ne