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des défiances réciproques des deux gouvernemens. Ils se refroidissent encore davantage lorsque, au mois d’octobre, le ministre Crispi, invité par Bismarck à Friedrichsruhe, y arrive pour signer le traité qui reconstituera la Triple Alliance par l’accession de l’Italie.

Loin de faire mystère de la visite de l’homme d’Etat italien, le prince de Bismarck l’a fait annoncer de toutes parts. Ses journaux en font ressortir l’importance et célèbrent sur tous les tons ce qu’ils appellent son caractère pacifique. A les en croire, elle est destinée à maintenir la paix d’accord avec l’Autriche-Hongrie. « Elle a pour but, disent-ils, d’empêcher autant que possible une guerre européenne, et en cas de nécessité de s’en préserver en commun. Les voix étrangères qui font connaître leur mécontentement de cette visite montrent, par-là, qu’elles n’appartiennent pas à la grande majorité de la population européenne qui veut la paix, mais au petit nombre de ceux qui cherchent à appeler sur l’Europe la calamité des grandes guerres. »

Le Tsar ne se laisse pas tromper par ces explications contradictoires, il y voit la preuve que le chancelier allemand veut tenir la Russie sous la menace de la Triple Alliance maintenant reconstituée. Malgré les liens affectueux qui existent entre lui, et son oncle l’empereur Guillaume, il reste défiant et sur le qui-vive, froissé par ce que présente de malveillant et d’énigmatique cette politique souterraine qui s’exerce contre lui sous les formes les plus diverses et les plus inattendues. Bismarck ne s’est-il pas avisé de jeter le discrédit sur les finances de la Russie, par des attaques de presse ? Obéissant à un mot d’ordre, les journaux allemands peignent la situation financière de l’empire moscovite sous les couleurs les plus sombres. D’après eux, elle est gravement compromise et doit aboutir fatalement à la banqueroute. Ils conseillent aux porteurs de fonds russes de s’en débarrasser au plus vite. Pour seconder cette campagne, la Banque Impériale de Berlin refuse de prêter sur ces valeurs.

Telle était la situation pendant l’automne de 1887, lorsqu’une circonstance, dont le mystère n’est pas encore aujourd’hui entièrement éclairci, vint à l’improviste aggraver l’irritation du Tsar. Il se préparait à partir pour Berlin, où l’attendait son oncle l’empereur Guillaume, lorsqu’il reçut communication d’une lettre du prince Ferdinand de Bulgarie adressée à la