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serait-elle moins flattée de remporter sur lui de rapides et foudroyantes victoires et se serait-elle épargné ainsi les cruels déboires et les amères désillusions qui, malgré le furieux déchaînement de toutes ses forces, sont aujourd’hui le présage de sa défaite finale.

Nous ignorons ce qui a pu se passer au moment de l’affaire Schnæbelé entre le prince de Bismarck et son fils. Il parait positif qu’encore que, pour faire son coup, le comte Herbert se fut inspiré des sentimens de son père, il avait négligé de le consulter, et que l’événement était accompli lorsque le chancelier en eut connaissance. Mais il n’était pas homme à désavouer l’auteur de la faute, alors que cet auteur le touchait de si près. Il avait toujours eu pour ce fils beaucoup d’indulgence ; il l’avait placé à l’un des postes les plus éminens de l’Etat et il se plaisait à voir en lui son successeur. On peut croire cependant qu’en cette circonstance, il l’a morigéné et lui a fait sentir l’étendue de sa maladresse. Mais, ceci fait, il s’est surtout préoccupé des moyens de la réparer, et c’est son habileté coutumière qu’on devine dans la décision qui dénoua le conflit. Le 1er mai, le Journal officiel allemand la faisait connaître par une note ainsi conçue :

« Nous apprenons que Sa Majesté l’Empereur a décidé la mise en liberté du commissaire de police Schnæbelé, parce qu’il a été établi que Schnæbelé s’est rendu aux lieu et place où son arrestation a eu lieu à la suite d’un rendez-vous pour affaires personnelles avec son collègue appartenant à la police allemande. On doit considérer des rendez-vous de service de cette nature comme comportant une promesse de sauf-conduit, car, s’ils ne préjugeaient pas cette garantie, le service officiel courant de la frontière ne saurait être expédié. »

C’était s’en tirer à bon compte et honorablement ; mais les raisons alléguées n’en laissaient pas moins voir que le Cabinet de Berlin avait été obligé de mettre les pouces et de reconnaître ses torts. Il est vrai qu’il faisait dire par ses journaux qu’en cette affaire il s’était montré magnanime. Mais, bien qu’il eût couvert ainsi sa retraite, le résultat n’était pas pour plaire à l’irascible Bismarck. Il eut pour effet d’accroître la malveillance dont il ne cessait de faire preuve vis-à-vis des Français. Renonçant maintenant à les provoquer directement, c’est en passant par l’Alsace-Lorraine qu’il les provoquera. De