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III

Elle ne désarmait pas ; mais à Paris on était disposé à croire le contraire. Lorsque avait éclaté la crise, on s’en était justement alarmé. Elle survenait à l’improviste, et l’attitude inattendue du Cabinet de Berlin était d’autant plus déconcertante que, depuis l’avènement du ministère Jules Ferry, et même après sa chute, les relations entre les deux gouvernemens s’étaient améliorées au point de faire croire à un rapprochement sur ce terrain des intérêts communs où ils pouvaient se rencontrer et s’entendre. Mais, maintenant que le calme était revenu, le gouvernement français se plaisait à penser que la campagne déchaînée contre la France n’avait été qu’un stratagème destiné à ne plus se reproduire, et que désormais on recommencerait à vivre sur le pied d’un complet accord. Il est donc aisé de comprendre combien fut vive à Paris l’émotion du monde officiel lorsque, le 21 avril, on apprit qu’un télégramme adressé au ministre de l’Intérieur venait de lui apporter la nouvelle d’un incident de frontière assez grave pour qu’on pût craindre que les rapports de Paris avec Berlin ne s’envenimassent de nouveau. Lorsque antérieurement s’étaient produits des incidens analogues, ils avaient été presque toujours réglés à l’amiable. Mais celui-ci se présentait dans des conditions telles qu’il était difficile de n’y pas voir une provocation. Laconique et sobre de détails, la dépêche portait que le sieur Schnæbelé, commissaire spécial de police à P(agny-sur-Moselle, venait d’être arrêté par la police allemande, en territoire français, d’après une première version, en territoire allemand, d’après une seconde. Mais s’il y avait contradiction sur ce point, il n’était pas douteux qu’un piège avait été tendu à l’agent français.

Le ministre de l’Intérieur transmettait aussitôt la nouvelle à son collègue des Affaires étrangères, M. Flourens, et celui-ci s’empressait de charger télégraphiquement l’ambassadeur de France à Berlin de demander des explications à la chancellerie impériale. Le chancelier étant en ce moment en villégiature à Friedrichsruhe, c’est par son fils, secrétaire d’Etat, que l’ambassadeur fut reçu. Au récit qui lui fut fait, le comte Herbert de Bismarck affecta la plus vive surprise ; il affirma qu’il ignorait