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« La dissolution du Reichstag sous le coup d’un changement de règne, était une grosse partie, est-il dit dans une de ces lettres : Bismarck l’a gagnée. Par quels moyens ? A l’intérieur par des violences, à l’extérieur par d’audacieuses accusations contre les prétendues intentions agressives de la France ; tout cela pour avoir un parlement docile, comme base de sa propre influence sur l’Empereur. Mais il est probable qu’il y regardera à deux fois avant de recommencer, car si les gouvernemens étrangers sont restés muets, ils s’inquiètent maintenant de cette politique égoïste et hypocrite qui fait litière des intérêts de tous. Elle est jugée sévèrement, même en Allemagne, où le sang-froid des Français a été considéré comme la preuve qu’ils étaient prêts et résolus à un duel à mort. »

Dans une autre lettre, on lit :

« Le nouveau Reichstag ne sera pas le Reichstag asservi qu’eût voulu le chancelier ; mais il évite une défaite sur le terrain militaire que le vieil empereur ne lui eût peut-être pas pardonnée. Il trouvera dans son génie inventif le moyen de résoudre d’autres difficultés. N’oublions pas, d’ailleurs, que l’alternative des coups et des caresses est un des caractères de la méthode de dressage appliquée par lui aux gouvernemens qu’il veut atteler à sa politique. »

Pour compléter ces appréciations, citons encore celle-ci, peut-être plus juste encore que les précédentes :

« L’orage est écarte, mais il n’est pas dissipé. Le chancelier a tellement tendu la situation qu’il ne dépend plus de lui de la ramener à l’état normal. En France, on est ulcéré, et les idées de rapprochement ont perdu en un mois plus de terrain qu’elles n’en avaient gagné en dix ans. En Allemagne, plus on aura conscience de notre légitime ressentiment et plus on nous détestera. » Tel était en effet le résultat le plus clair de la conduite déloyale que Bismarck venait de tenir. Lorsque se dénouait la crise que nous racontons, le fossé qui depuis la guerre existait entre les deux pays s’était élargi et creusé plus profondément. Renonçons à rechercher si c’est là ce que le chancelier avait voulu, et constatons qu’autant il eût été diminué, si la majorité électorale s’était prononcée contre lui, autant son succès le grandissait et augmentait son prestige. Ses amis et ses adversaires étaient d’accord pour reconnaître que, quel que fût le successeur du vieux souverain dont les forces