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reste, quiconque suivait de près la lutte électorale engagée en Allemagne pouvait déjà se convaincre qu’elle se dénouerait à l’avantage du gouvernement impérial. De nouveau, Léon XIII avait parlé et exprimé avec plus de force que la première fois son désir de voir le parti catholique renoncer à son opposition. Ce parti se désagrégeait ; les masses refusaient de se soumettre aux exhortations de la minorité qui résistait encore et témoignaient de leur volonté d’obéir à la voix de Rome. Plusieurs jours avant les élections, le résultat final ne faisait plus doute pour personne.

Elles eurent lieu le 21 février. La victoire était assurée à la politique du prince de Bismarck ; à quelques semaines de là, la loi du Septennat allait être votée. Mais, avant même que ce résultat fût acquis, la crise perdait brusquement de son acuité ; l’opinion se rassurait et jusque dans son entourage on commençait à rire, comme d’un bon tour joué au gouvernement français, des griefs que le chancelier lui avait imputés, pour éveiller partout dans l’empire des craintes de guerre. On reconnaissait que les prétendus arméniens de la France, les fameux baraquemens dont on avait fait tant de bruit, les intentions belliqueuses attribuées au général Boulanger n’avaient été que des prétextes, plus ou moins ingénieux, pour répandre la panique en Allemagne et faire croire au corps électoral que la patrie allemande était en danger. Les journaux affectaient une allure plus modérée ; ils n’attaquaient plus systématiquement la France, et si quelques-uns tiraillaient encore, c’était pour couvrir la retraite, avec des armes chargées à blanc. Les milliers de réservistes rassemblés en Alsace étaient renvoyés dans leurs foyers. C’était en un mot la détente générale qui se produisait en des conditions propres à démontrer à tous les yeux que la campagne bruyante et dangereuse qui prenait fin avait été organisée par le chancelier dans l’unique intention de servir ses desseins politiques.

S’il en fallait une preuve plus décisive encore que celles qui précèdent, nous la trouverions dans diverses correspondances contemporaines de l’événement, où toute cette intrigue est démasquée, mise à jour et jugée dans ses causes comme dans ses résultats et qui, pour être vieilles de près de trente ans, n’en restent pas moins accablantes pour la mémoire du prince de Bismarck.