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La situation de l’ambassadeur de France en ces circonstances ne laissait pas d’être délicate et souvent douloureuse. Sans doute, il avait discerné ce qu’il y avait de factice et de joué dans les colères menaçantes dont il recueillait les témoignages et les échos. Un de ses collègues était venu lui répéter un mot d’Herbert de Bismarck propre à l’éclairer et à le rassurer.

— Tout cela, c’est de la stratégie électorale, avait dit le jeune ministre qui ne savait pas toujours retenir sa langue et parlait souvent comme un enfant terrible.

Une révélation analogue avait été faite au représentant de la France par un riche banquier berlinois, le baron de Bleichrœder, familier des Bismarck et qui se flattait à tort ou à raison de recevoir fréquemment les confidences du chancelier.

— Il est pacifique, croyez-le, avait affirmé ce personnage. Mais la crainte de voir les élections tourner contre lui, l’oblige à entretenir les craintes de guerre. Après les élections, ce sera différent.

Aveu singulier auquel l’ambassadeur objectait qu’il était au moins fâcheux que les bons rapports de l’Allemagne avec la France fussent à la merci d’une crise électorale. Néanmoins, il transmettait à Paris les paroles et les informations qu’il récoltait et en tirait, en les transmettant, des conclusions rassurantes sans méconnaître cependant que la comédie jouée par le chancelier était grosse de périls, que peut-être, après les avoir cyniquement déchaînés, il ne pourrait plus conjurer.

Pour les mêmes raisons, le gouvernement français en avait conçu de justes alarmes. L’ambassadeur d’Allemagne a Paris, le comte Munster, était dans un état d’esprit favorable à la France. Nul mieux que lui ne pouvait constater ce qu’il y avait de mal fondé dans les attaques dont elle était l’objet à Berlin, à la chancellerie et dans la presse. Mais les devoirs de sa fonction lui commandaient beaucoup de discrétion et de réserve et ce n’est que dans la plus stricte intimité qu’il déplorait l’altitude de son gouvernement. Cependant, le peu qu’il en pouvait dire confirmait ce qu’en disait M. Jules Herbette et aurait contribué à calmer les esprits et à rassurer le ministère français, s’il n’eût été trop certain que la paix de l’Europe restait toujours à la merci d’un caprice ou d’une boutade du prince de Bismarck.

Au fur et à mesure que la crise se prolongeait, elle s’aggravait et de toutes parts on souhaitait de la voir se dénouer. Du