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sera assurée. S’il est rejeté, elle sera affaiblie dans sa force militaire et exposée aux attaques de la France. Alors il sera nécessaire de devancer ces attaques et de porter à l’ennemi des coups mortels avant qu’il ne soit en mesure de se défendre. C’est ainsi que, du résultat du scrutin qui va s’ouvrir, dépendra la paix où la guerre.

Telle est l’idée que développent pour les électeurs les journaux aux gages du chancelier. Elle s’aggrave d’insinuations et de menaces que formulent les organes officieux et qu’on retrouve dans les entretiens de Bismarck avec les membres du corps diplomatique étranger lorsqu’il leur fait l’honneur de les recevoir, ce qui n’est pas fréquent, et dans les propos que leur tient son fils le comte Herbert de Bismarck, en sa qualité de ministre des Affaires étrangères. La personnalité du général Boulanger, ministre de la Guerre en France, est de plus en plus représentée comme une menace pour l’Allemagne, et ce jeu est poussé si loin qu’il trahit la prétention du gouvernement germanique de réduire au silence l’opinion publique française.

— Nous n’attaquerons pas la France, promet le chancelier, à moins qu’un militaire ne devienne président du Conseil ou président de la République.

Son fils précise cette condition.

— Sans doute, dit-il à notre ambassadeur, le ministère actuel fait de son mieux pour retenir le général Boulanger. Mais y parviendra-t-il indéfiniment ? C’est la seule question qui nous préoccupe.

Naturellement, l’ambassadeur proteste. Il établit, preuves en mains, que ni le général Boulanger ni aucun de ses collègues ne songent à faire la guerre, que son gouvernement ne procède pas à des armemens extraordinaires, que ceux de l’Allemagne en Alsace sont bien autrement inquiétans et qu’en France tout est à la paix. Ses déclarations sont accueillies courtoisement, mais avec défiance ; on affecte de continuer à suspecter les intentions du général Boulanger, comme pour justifier le caractère agressif de la campagne entreprise contre la France. Cependant les protestations de l’ambassadeur obligent Herbert de Bismarck à promettre de modérer la polémique électorale. Mais on peut douter de sa sincérité, lorsqu’il ajoute à cette promesse et comme s’il faisait une concession « que son père ne demande pas la démission du général, pour ne pas augmenter sa popularité. »