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d’énormes concentrations de troupes sur la frontière. Soixante-treize mille réservistes sont appelés sous les drapeaux et mobilisés en Alsace. L’exportation des chevaux est interdite ; on annonce un grand emprunt de guerre ; les officiers sont invités à compléter leur équipement. Enfin, le bruit est répandu qu’en cas de conflit entre la France et l’Allemagne, les empires du Nord marcheront ensemble contre l’ennemi commun.

En ce qui touche la Russie, l’affirmation était mensongère, et le comte Schouvalof, ambassadeur russe à Berlin, la démentait auprès de son collègue français.

— Pourquoi, lui disait-il, nous unirions-nous à l’Allemagne contre la France, avec qui nous avons tant d’affinités ?

L’Angleterre faisait entendre des déclarations analogues. Mais ce n’étaient là que des mots et les gouvernemens européens s’abstenaient d’intervenir officiellement. Dans leur silence, Bismarck trouvait un encouragement à poursuivre la propagation de tant de rumeurs malveillantes, à l’aide desquelles il faisait croire à l’imminence de la guerre, afin de détruire dans le Reichstag l’opposition fomentée contre lui par le parti du Centre. Mais la majorité de cette assemblée ne se laissait pas intimider par ces moyens déloyaux ni par les prédictions pessimistes du chancelier. Elle y opposait une incrédulité arrogante et railleuse. Loin d’être ébranlée par l’agitation du parti militaire, par le désarroi du monde commercial et industriel, par la baisse des fonds publics, sa résistance y puisait une énergie nouvelle. Il était trop clair que ces manifestations périodiques, révélatrices de l’acuité de la crise, faisaient partie de la comédie jouée par le chancelier et que l’inquiétude générale cesserait au jour et à l’heure où il la jugerait inutile à ses desseins.

Décidée à repousser le Septennat, l’opposition se déclarait prête, en revanche, à voter le Triennat. Mais c’est précisément du Triennat que le chancelier ne voulait à aucun prix, pas plus d’ailleurs que de toute, autre proposition transactionnelle. Ses exigences se résumaient en trois mots : tout ou rien. Leur caractère intransigeant le maintenait en minorité dans le Reichstag, bien que, pour y triompher, il eût recouru à l’intervention du pape Léon XIII.