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pour se constituer une majorité, le chancelier avait résolu d’en finir avec l’opposition qui, depuis si longtemps, contrecarrait ses plans et de dissoudre ce parlement où la rébellion faisait de jour en jour de nouveaux progrès. En demandant aux électeurs de trancher le différend, il espérait retrouver, grâce à eux, cette majorité qui menaçait de lui faire défaut dans une circonstance si importante à ses yeux.

Ce n’était pas la première fois qu’il se trouvait en présence d’une crise de cette nature. Quand il s’en était produit une, il l’avait dénouée à l’aide de moyens d’une loyauté douteuse. Mais il les considérait comme légitimes en vertu de l’axiome : « Nécessité n’a pas de loi, » que, trente ans plus tard, devait utiliser un de ses successeurs sans craindre d’infliger à l’honneur allemand une tache ineffaçable. Ce moyen, on le connaît. Il consistait à dresser devant le Reichstag le spectre de la guerre et à faire croire que la France se préparait à attaquer l’Allemagne. Mais encore fallait-il, pour qu’un tel prétexte pût être allégué efficacement, que la situation internationale le rendit vraisemblable. Ce n’était pas le cas en 1886. L’attitude pacifique du ministère Freycinet, celle du parlement français, le langage des journaux, l’état d’âme du pays, ne permettaient pas de suspecter leurs intentions ni de les soupçonner de se préparer à la guerre. Aussi l’embarras du prince de Bismarck était-il grand, faute d’une raison valable pour justifier un retour à la politique comminatoire dont en d’autres temps il avait abusé.

A l’improviste, le prétexte qu’il cherchait s’offrit à lui et c’est par la France qu’il lui fut fourni. Le ministère Freycinet était renversé le 3 décembre par un vote de la Chambre des Députés et remplacé, huit jours plus tard, par un Cabinet ayant à sa tête M. René Goblet. Au point de vue de la politique extérieure, le nouveau Cabinet ne différait pas de l’ancien, dont plusieurs membres y étaient maintenus, notamment le général Boulanger, qui, depuis le 7 janvier, détenait le portefeuille de la Guerre. C’est le maintien du général qui fournit an prince de Bismarck le motif qu’il cherchait pour provoquer en Allemagne, et particulièrement dans le Reichstag, une levée de boucliers contre la France. Pendant près d’une année, il ne s’était pas alarmé de la présence de Boulanger dans le gouvernement français. Mais tout à coup, il y voyait un péril grave pour la paix.