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n’était ni un jouet, ni une affaire de mode, ou de convenance : c’était une chose extrêmement sérieuse. On entrait dans une église sans aucun dilettantisme, mais uniquement par devoir.

Chez nous, à Spincourt, rien, assurément, n’y flattait les yeux ou les oreilles. Notre église ressemblait à toutes les églises campagnardes, sauf qu’elle avait un clocher d’une forme singulière, comme quelques autres des environs. Ce clocher était coiffé d’un dôme bulbeux et surmonté d’une lanterne. (Depuis mon enfance, on l’a reconstruit, sans nul égard aux proportions, de sorte qu’il a l’air d’une casquette étriquée posée au sommet d’une poutre.) Je n’ai retrouvé ce modèle qu’en Espagne, et je crois m’expliquer le fait de manière assez plausible. J’ai ouï dire par mon père qu’avant la Révolution, Spincourt était un prieuré dépendant de l’abbaye d’Orval, en Belgique. Il est probable que, sous la domination espagnole, l’influence de cette abbaye se faisait sentir, par les vallées de l’Othain et de la Chiers, sur tout le pays montmédien, et quelque peu au-delà. Montmédy, Senon, Amel, Gouraincourt, Étain, ont des clochers espagnols comme Spincourt.

En tout cas, notre église possédait un vieux mobilier, qui datait, en majeure partie, du XVIIIe siècle et qui trahissait le goût sûr et le luxe discret des moines. Le chœur était revêtu de boiseries d’un assez bon travail, et, autant que je me souvienne, décoré de deux grands tableaux de l’Ecole italienne, lesquels flanquaient un envoi du gouvernement, une laide machine représentant un miracle de saint Pierre, patron de la paroisse. Des autels de style rocaille, avec des colonnes torses, des triangles, des pots à feu, des attributs et des monogrammes dorés sur fond blanc, rehaussaient la nudité des murs. L’ignorance du curé lui a fait troquer ces authentiques valeurs contre une affreuse camelote genre troubadour et toute une statuaire de la rue Saint-Sulpice. Cette statuaire en carton-pâte finit par détrôner de la place d’honneur qu’elles occupaient deux antiques et naïves images de saint Pierre et de saint Paul. Lors de mon dernier passage, après les avoir bien cherchées, je les ai découvertes enfin, au bas de l’église, reléguées dans un coin, près du bénitier.

Cette fois-là, lorsque je l’ai revue, ma pauvre église était déjà fort délabrée. Il n’y restait presque plus rien des humbles choses qui émerveillèrent mes yeux d’enfant. Les effets de la