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sont pas sans excuses, et il est trop facile après coup d’accuser les hommes de ce qu’il y a eu d’imprévu dans les événemens. Au reste, tout cela appartient au passé : le présent, l’avenir nous importent davantage. M. Sazonof partage ce sentiment. Il a fait allusion à l’incident diplomatique dont nous venons de dire un mot. Parmi les pays qui manquent de munitions et qui sont le plus mal outillés pour en produire, la Turquie occupe un rang très distingué. Elle lutte dans les Dardanelles et jusqu’ici nous n’avons pas réussi à vaincre sa résistance ; mais ses munitions se raréfient et elle en demande, paraît-il, avec un accent désespéré. Comment lui en envoyer ? Il faut passer pour cela sur le territoire de la Roumanie. L’Allemagne a donc enjoint à celle-ci d’ouvrir ses portes à des trains qui porteraient des obus et des canons, et la Roumanie s’y est refusée. Les journaux se sont amusés, avec une ironie qui venait tout naturellement à l’esprit, de la contradiction inhérente à la politique allemande : elle ne peut pas souffrir que l’Amérique envoie à travers la mer des armes et des munitions aux Alliés, mais trouve tout naturel d’obliger la Roumanie à en laisser passer pour les Turcs. Cependant la Roumanie est souveraine chez elle, tandis que la mer appartient à tout le monde. Quoi qu’il en soit, le passage a été refusé. La Gazette de Cologne a déclaré alors que l’heure « était grave » pour la Roumanie et lui a adressé des menaces d’autant plus redoutables qu’elles étaient en somme un peu indistinctes ; mais on ne s’en est nullement ému à Bucarest et on ne s’en est pas mal trouvé jusqu’ici : les foudres allemandes ont fait long feu. On assure d’ailleurs que la Turquie a trouvé comme par enchantement le moyen de faire des obus et qu’elle n’a plus besoin de rien. C’est tant mieux pour elle, car elle n’a rien à attendre de la Roumanie qui a été plutôt offensée qu’intimidée par les gros yeux que lui faisait l’Allemagne et a gardé intactes son indépendance et sa dignité. Tous les pays ne sont pas disposés à se laisser mener au bâton.

Dans le reste des Balkans il est plus difficile de savoir ce qui se passe. Le bruit avait couru, — il venait d’un télégramme adressé de Sofia au Times, — que la Bulgarie avait obtenu de la Porte qu’elle lui cédât, — pour rien, disait-on, — la partie de son territoire où passe le chemin de fer conduisant à Dedeagatch. Ce territoire comprend la gare d’Andrinople avec un faubourg de la ville. On a raisonné beaucoup sur l’événement qui prêtait, il est vrai, à des interprétations différentes ; on s’est demandé si la Bulgarie, qui reçoit de l’argent de Berlin et qui aurait reçu des territoires de la Porte,