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l’avaient fait plus tôt, ils n’auraient pas éprouvé des échecs que ne méritait certainement pas l’admirable, la prodigieuse vaillance de leurs soldats, non plus que la science militaire et la capacité de leurs officiers. On peut dire en effet, sans aucune exagération, que, tel qu’il s’est manifesté au cours de ces derniers mois, le soldat russe, s’il a eu quelquefois des égaux, n’a pas aujourd’hui de supérieurs. Le sentiment patriotique qui l’inspire a quelque chose de mystique et de sacré : la guerre actuelle est pour lui une guerre religieuse, et c’est pourquoi il y apporte une ardeur sans égale : on l’a vu combattre avec des armes primitives, n’ayant d’autre valeur que celle des bras qui les maniaient, se jeter sur l’ennemi avec une énergie farouche, lui tenir tête, le faire reculer. Mais ces prodiges ne peuvent se soutenir qu’un temps. Les Austro-Allemands avaient pour eux une supériorité d’armement qui opérait comme une force de la nature. Le nombre d’obus qu’ils ont tiré déroute l’imagination. Le soldat russe a été impuissant contre cette avalanche, de fer, et c’est aux officiers qu’il a appartenu de sauver l’armée du désastre qui la menaçait.

Ils se sont acquittés de cette tâche avec une vraie maîtrise. Le plan allemand était de cerner l’armée ennemie, de la prendre entre les branches, non pas seulement d’un, mais de deux étaux, de telle sorte que si l’un manquait le but, l’autre semblait devoir l’atteindre dans un enveloppement encore plus étendu. Mais le grand-duc Nicolas a manœuvré pour échapper à l’étreinte et il a réussi. Il ne s’est pas obstiné à défendre Varsovie, qui avait d’ailleurs été déclassée et n’était pas défendable dans les conditions où on se trouvait. S’il s’y était immobilisé, ou même seulement attardé, il y aurait été enveloppé : l’armée russe aurait été enlevée ou détruite. Il n’en a rien été. Varsovie a été évacuée au moment précis où elle devait l’être ; l’opération, une fois résolue, s’est faite lentement, avec sang-froid, avec ordre ; lorsque l’ennemi est entré dans la ville, il n’y a rien trouvé de tout un matériel de guerre qui avait été mis en lieu de sûreté. Quant à l’armée, elle s’est repliée sur une nouvelle ligne de défense qui a été depuis longtemps étudiée et qui même, dans les plans primitifs de l’état-major russe, était celle où on devait attendre le choc de l’ennemi : c’est sur notre insistance que la frontière avait été adoptée comme première ligne de défense et nous ne devons d’ailleurs pas regretter qu’elle l’ait été. Non seulement, en effet, la campagne que viennent de faire les Russes a apporté à la cause commune un concours utile, mais elle les a eux-mêmes couverts de