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« Le développement de la culture intellectuelle, artistique et morale de l’Alsace au Moyen Âge est, dit-il, très supérieur à celui des territoires situés plus au Nord ou à l’Ouest du Saint-Empire romain d’alors.

« Il présente aussi cet intérêt particulier que, sous leurs formes germaniques, les produits de la littérature et des beaux-arts décèlent un contact plus intime avec les régions de la France nouvelle qui se dégage peu à peu du xie au xiiie siècle de la Gaule franco-romaine. Cette influence est incontestable et reconnue d’ailleurs par les plus véhémens défenseurs des idées germaniques. »

Que la renaissance française du xiie siècle et notre apogée artistique et littéraire du siècle suivant aient rayonné bien au-delà de l’Alsace, sur l’Allemagne, nul fait n’est plus certain. Mais combien différentes furent les conditions, l’étendue, la profondeur de ce rayonnement ! Un départ s’impose entre l’action et la réceptivité. Celle-ci tient aux dispositions d’esprit et de cœur, l’autre aux circonstances. La première se révèle d’une façon radieuse dès le xiie siècle.

Voici le poète latin le plus pur et le plus éloquent de son temps, l’auteur du Ligurinus. Il est Alsacien ; c’est Gonthier de Pairis. Cherchant à définir sa personnalité, qui a été pleinement reconnue depuis lors, Gaston Paris avait dit de lui que, « par l’élégance de sa versification et l’éclat de son style, il se rapproche des poètes de France et s’écarte de tous les Allemands de cette époque. »

Et voici, à côté de ce poète, bien au-dessus de lui par la beauté de l’âme, l’admirable et sereine figure de l’abbesse de Hohenbourg, Herrade de Landsberg, l’auteur du Hortus Deliciarum, que l’incendie sacrilège de 1870 a détruit. L’abbé Grandidier lui a rendu le témoignage qu’ « à une époque où presque toute l’Europe était plongée dans la barbarie et l’ignorance, elle a rappelé dans l’Alsace l’amour de la littérature et des sciences. » Lettrée, savante, artiste, elle était plus encore : elle avait pour qualités maîtresses le goût le plus délicat, la grâce la plus exquise. Si l’on veut juger combien, à cet égard, elle était participante du génie français, que l’on compare ses harmonieuses poésies à la versification lourde et pédantesque de la femme poète dont l’Allemagne s’enorgueillit au Moyen Âge, la nonne Hroswitha.