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Grâce aux auteurs antiques vulgarisés au xve et au xvie siècle, grâce aux cartes, aux figures, aux livres populaires tels que la Cosmographie de Munster, nulle notion historique n’avait pénétré plus profondément dans les esprits que celle du Rhin limite de la Gaule, séparant les Germains et les Gaulois ou Français. On verra tout à l’heure quels efforts Wimpheling a faits pour combattre les partisans de la France en taxant César d’erreur.

Mais voici bien autre chose. Les monnaies strasbourgeoises portaient des fleurs de lys, et quand, au xiiie siècle (1262), les Strasbourgeois furent en lutte avec leur évêque, Walter de Geroldseck, ils lui opposèrent cet emblème comme « un témoignage des bontés dont les anciens Rois de France avaient honoré autrefois leur ville. »

Dans la controverse à laquelle je vais arriver, Wimpheling a eu beau objecter que « le Roi de France se sert de trois fleurs de lys et que la ville de Strasbourg n’en a qu’une seule, que les fleurs de lys des Rois de France sont sur leurs armoiries et leurs drapeaux, tandis que le lys de Strasbourg n’est que sur les monnaies, » le peuple ne faisait ou ne pouvait faire une telle distinction, et, du reste, la bannière même de la ville les portait bel et bien.. Ce qu’il y a même de piquant, c’est que, dans la reproduction de cette bannière qui figure en tête de la Germania de Wimpheling, l’Enfant Jésus tient une fleur de lys dans sa main gauche et porte sur son auréole les trois fleurs de lys de France.

Dans ces emblèmes visibles, le souvenir de l’union politique avec la France restait donc présent pour tous. — N’était-ce pas la bannière de Strasbourg qui marchait non seulement en tête des contingens alsaciens, mais à côté de la bannière impériale ? — Il y avait là un point d’attache matériel, indestructible pour les sympathies latentes que les similitudes de caractère ou d’instinct produisaient et qui servaient de trait d’union entre l’âme alsacienne et l’âme française.


III

Il faudrait pouvoir présenter ici un double tableau, que je dois me borner à esquisser : d’une part, une analyse approfondie du caractère alsacien tel qu’il se manifeste à travers les âges, d’autre part une étude des affinités intellectuelles et