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font rage ; puis ce fut le tour des obus. Figurez-vous la forme d’un litre rempli de chiques en plomb et de toutes sortes de choses coupantes qui venaient éclater sur les maisons, dans les jardins, partout…

« Nous avons eu beaucoup d’obus, à Ménil. Nous en avons reçu un dans notre porte ; il l’a mise en morceaux. Maman les a reçus en plein des avec un gros presse-livre que l’obus avait fait tomber… Quand l’obus est tombé, ça a fait une telle poussière et une fumée si épaisse que maman a crié :

« — Sauvez-vous, y a le feu ! »

« .. Enfin, vers cinq heures, tout redevient tranquille-Maman et moi sommes devant chez nous. Nous voyons, avec bien de l’étonnement, des bottes de paille remuer dans les champs. Puis, ces bottes se dressent et, dans chacune, il y avait un Allemand de caché. Et bientôt, on vit comme une fourmilière d’Allemands. Il en venait de tous les côtés et ils ressemblaient à de grosses fourmis grises… sur la place du village, c’était tout gris de Boches… »

«… Nous, se rappelle une enfant de Moyenmoutier, quand on a bombardé, nous sommes descendus dans la cave. J’avais bien peur ; les obus sifflaient ; nous tremblions comme des feuilles ; les petits enfans criaient… Dans la cave, M. le curé nous encourageait et on récitait le chapelet… Vers le soir, voilà que, par le soupirail, nous voyons passer de grandes bottes et des pantalons gris ; M. le curé dit :

« — Les voilà !… »

«… Ils ne venaient pas avec fracas ; au contraire, ils venaient tranquillement ; ils voyaient bien que nous avions peur d’eux. Ils entrent chez nous. Ils parlaient un peu français. Ils disent à grand-père :

« — Pas de soldats, chez vous cachés ? .. »

Ici, je ne puis m’empêcher, ouvrant une parenthèse, de faire remarquer avec quelle fidélité nos enfans se rappellent chacun des mots entendus. La petite, de qui je tiens ce récit, ne sait pas l’allemand ; mais elle rapporte cette phrase, telle que les soldats allemands, qui connaissaient mal le français, l’ont construite, c’est-à-dire selon la syntaxe de leur grammaire, en rejetant le participe passé à la fin de la proposition.

« Et, comme grand-père leur répond :

« — Non. »