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nombreuses, et tôt fait aussi de les exprimer. Le plus souvent, ce n’est qu’une phrase qui leur échappe, une exclamation qu’il serait dommage de ne pas recueillir ; ainsi ce regret d’un « Fléchois » de treize ans, avide d’égaler ses aînés et écrivant à sa mère : « Quel dommage que tu ne puisses m’envoyer mes dix-huit ans dans un colis !… »

J’ai dû, presque toujours, puiser dans maintes copies pour obtenir un récit qui se tienne : beaucoup de mailles réunies finissent par former un tissu. Celui-ci n’est pas sans imperfections. On s’attend « qu’ung povre petit escollier » n’écrive pas avec la pureté d’un académicien. La plupart de ces narrations sont pleines de défauts : style lourd, confus ; phrases incorrectes ; incohérence dans les idées. Point d’élégance dans la forme ; nos enfans se contentent de dire avec plus ou moins de bonheur ce qu’ils ont vu ou ressenti. Aussi bien, ces incorrections sont souvent amusantes ; elles nous plaisent par leur naïveté, elles nous font sourire, elles donnent au récit son accent de sincérité. Je présenterais des périodes parfaites, on crierait à l’invraisemblance. Parfois, cependant, un détail est bien attrapé. Empruntée à la vie familière, une comparaison frappe par son imprévu, sa justesse, car nos petits ouvrent sur l’univers des yeux neufs. Un écolier marseillais, pour donner idée de la grosseur d’un bateau, remarque : « Il semblait une ile qui filait sur l’eau… » Parlant des lances des Indiens, un autre dira : « On les voyait briller de loin, au soleil, comme des miroirs… » Une Aixoise observe : « Les yeux des Turcos sont blancs et brillans comme de la porcelaine… » Un enfant de Varennes-en-Argonne, — « le Varennes de Louis XVI, » a-t-il soin de faire remarquer avec une secrète fierté, — a vu passer le Kronprinz et écrit cette phrase qu’on n’oublie plus, quand, une fois, on l’a lue : « C’est un grand blanc-bec qui, « de son auto, jetait des cigares à ses soldats… » Mais surtout, et c’est leur plus grande valeur, ces narrations nous dévoilent les cœurs de nos petits. Par elles, nous apprenons tout ce qu’ils enferment de générosité, de sentimens élevés et délicats.

La série de ces cahiers s’ouvre par une description de la mobilisation. Elle a laissé à nos enfans des souvenirs bien nets. Ils les évoquent avec émotion. La plupart ont vu partir leur père, un frère ; tous, un parent. La tristesse des adieux les a pénétrés jusqu’aux moelles. Ecoutez celui-ci nous dépeindre une