Le 28 juillet, alors que se resserrait le cercle des fatalités et que nous vivions de lourdes heures d’angoisse, je passais, vers la fin de l’après-midi, rue Denfert-Rochereau. Aucune circulation sur cette voie paisible. Des paveurs, qui venaient de terminer leur journée, avaient laissé, près d’un des trottoirs, un gros tas de gravier. Montant à l’escalade de ce monticule, des gamins jouaient à la guerre. Déjà !
Ils étaient une demi-douzaine, piailleurs comme des moineaux et non moins importans. Chacun d’eux, à lui seul, représentait un peuple : français, allemand, russe, anglais, autrichien et serbe. Toutefois, dans leurs alliances et leurs inimitiés, ils se perdaient eux-mêmes.
— Qu’est-ce que tu es, toi ?
— Allemand.
— Alors, on va te tuer… Et toi ?
— Serbe.
— Tu es un ami ; tape avec nous…
Quelques mois plus tard, en Provence, sous les pins et les oliviers, je trouvai les « pichouns » grandement occupés à creuser des tranchées. De vieilles casseroles, des pelles hors d’usage qu’on leur avait abandonnées leur servaient à remuer la terre. Ils dressaient des parapets, les recouvraient de gazon. Quelques minutes, ils se terraient dans leurs trous, s’observaient d’un camp à l’autre ; mais, bientôt, las de leur inaction, ils bondissaient avec des cris aigus, poitrine bombée. Un sabre de bois à la main, ils s’élançaient sus à l’ennemi, au pas de charge. Un minuscule drapeau claquait au bout d’une longue hampe qui était un bambou, un tambour battait à contretemps