Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/87

Cette page a été validée par deux contributeurs.

gien, l’Alsace n’a plus été qu’une conception traditionnelle, si l’on se place au point de vue de la cohésion politique. C’est une ombre, ce n’est plus une réalité ; mais l’âme populaire n’est-elle pas faite de telles ombres ? ne s’en nourrit-elle pas ? n’en vit-elle pas ? N’est-ce pas le moule où est coulée la sève morale ?

Voyez quel est le duc d’Alsace qui a fait grande figure dans l’histoire et qui a survécu dans la mémoire populaire ! C’est Étichon. Or, Étichon est le père de sainte Odile, et sainte Odile est la patronne de l’Alsace, comme la Sainte-Vierge est la patronne de Strasbourg. Et voilà une tout autre unité, une unité réelle, celle-là. De partout en Alsace on aperçoit le Hohenbourg, la crête la plus élevée qui domine la plaine d’Alsace et occupe le milieu même de la chaîne vosgienne, la crête qui servit de refuge à la population lors des grandes invasions étrangères, qu’entourent aujourd’hui encore les ruines du mur païen. Et c’est, en effet, dans l’une des trois enceintes de ce mur qu’a été fondé le monastère de Sainte-Odile.

Ce monastère est devenu ainsi le sanctuaire de l’Alsace[1] ; j’irai jusqu’à dire qu’il a joué le même rôle unitaire que le Capitole de Rome ou que le Parthénon d’Athènes.

Si divisée que fût l’Alsace, si dépecée qu’elle ait été par la rapacité de tant d’hommes de proie qui se sont abattus sur elle, son sentiment unitaire ne s’est pas plus éteint que la petite lampe vacillante qui brûlait sur cet autel de Sainte-Odile vers lequel montent encore, aux fêtes de la Pentecôte, les flots pressés des pèlerins venus de tous les coins de la plaine.

Le mysticisme religieux n’a-t-il pas été, à toutes les époques, un trait essentiel du caractère alsacien ? mais associé, par une rare fortune, au bon sens le plus pratique, à la plus saine pondération d’esprit, les vivifiant, les animant, les purifiant de sa flamme idéale. C’est le fond commun qui a survécu même aux divisions introduites par la Réforme, tout aussi bien qu’à travers le Moyen Âge le mysticisme alsacien, représenté si brillamment au xive siècle par Tauler, a plané au-dessus des discussions théologiques.

On paraît trop oublier, du reste, que la ligue des dix villes

  1. Une description poétique de l’Alsace par un humaniste alsacien du xvie siècle, le géographe Matthieu Ringmann, a pour couronnement ces deux vers :

    Odilia in summo requiescit verlice montis,
    Odilia alsalici gloria tumma soli.