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revenait dans nos conversations. « Pourvu qu’ils ne passent pas une fois encore ! je m’en irais, voyez-vous, j’emmènerais mes pauvres infints ! » disait-elle avec cet accent épouvantable des gens du Nord. Mais, nous la rassurions en lui disant que, là où nous étions, l’ennemi n’avançait jamais. C’est en causant avec les habitans des pays envahis que l’on se rend bien compte de la tâche du soldat : les garantir jusqu’à la mort contre l’envahisseur. Les troupes ont bien plus de détermination pour défendre leur propre sol que pour attaquer l’ennemi chez lui. J’ai remarqué que nous étions moins acharnés lorsque nos positions étaient éloignées de tout groupement de maisons ; la vue d’un toit à protéger suffisait pour nous rendre inébranlables. On aurait dit que les habitans s’en rendaient compte par l’empressement qu’ils mettaient à revenir chez eux dès que leurs maisons étaient, à nouveau, dans nos lignes, même en pleine zone dangereuse ; cela semble de l’héroïsme pour les autres, pour eux c’est tout naturel : « Vous y êtes bien, » nous disaient-ils, « alors, pourquoi pas nous ? » Cela nous encourageait : nous étions très bien disposés pour ces braves gens, et désireux de leur rendre service, selon nos moyens, tandis que nous avons toujours eu une sorte de mépris pour ceux qui avaient fui devant l’invasion et ne revenaient plus derrière nous. En temps de guerre, on devient difficile sur le chapitre du courage et l’on est véritablement surpris et dégoûté, — c’est le mot, — quand on remarque son absence : aussi émet-on, quelquefois, des jugemens sévères pour « ceux qui tremblotent… »


Lundi 12, était mon jour d’observatoire. Nous étions deux : notre seule distraction fut une série de tirs très bien dirigés par nos différentes batteries sur plusieurs aéros ennemis qui devinrent moins curieux. Nous apprîmes notre prochain départ, probablement vers le Nord, où on se battait sérieusement : les coloniaux devaient rester sur place, tandis que nous filerions vers une destination nouvelle.

C’est la dernière fois que je me trouvai en liaison avec le commandant P… Il était très gentil pour nous, et j’aimais beaucoup l’entendre donner des ordres pour combiner des attaques ou organiser notre défense ; il avait une grande initiative et ne laissait pas l’ennemi tranquille un seul instant.