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Haut-Pays, de rejoindre Nancy par le chemin de fer. Il fallait passer par Metz et subir deux fois, en cours de route, les ennuis de la douane. Je crois que le voyage durait bien une journée, sinon davantage.

Plus tard, après l’ouverture de la ligne-frontière de Longuyon à Pont-à-Mousson, le trajet fut simplifié, et l’on alla plus fréquemment à Nancy. Mais, même alors, on récriminait contre la distance. Les vieilles dames qui avaient à Metz des parentés ou des amitiés, qui, de temps immémorial, se fournissaient rue Tête-d’Or, ou rue du Petit-Paris, étaient inconsolables d’avoir à changer leurs magasins, d’espacer leurs relations ou leurs séjours, ou même d’être obligées d’y renoncer tout à fait. C’étaient des comparaisons perpétuelles entre l’Esplanade de Metz et la Pépinière de Nancy, et des discussions sans fin sur les avantages et les inconvéniens de ces deux promenades. On immolait généralement celle-ci à celle-là, dont on vantait la haute terrasse et la belle vue sur la vallée de la Moselle, tandis qu’on dénigrait la Pépinière comme un endroit triste, humide et sans horizon. On assurait que la rue Saint-Dizier le cédait à la rue Serpenoise, où d’ailleurs la camelote allemande n’avait pas encore eu le temps de s’installer. Les magasins de Nancy fonctionnaient à l’instar de Paris, et cela choquait beaucoup nos bonnes gens habitués aux traditions patriarcales du commerce messin. A Metz, le client était une ancienne connaissance, presque un ami, choyé et cultivé par le boutiquier, personnage plein de dignité et de décorum. A Nancy, ce n’était que l’acheteur anonyme qui entre et qui sort incognito. Et puis, qui pouvait répondre de ces commerçans nancéens ? Savait-on d’où ils venaient ? Et il y avait enfin contre Nancy ce préjugé tenace et inexplicable de frivolité. Aujourd’hui, quand j’évoque mes souvenirs de ce temps-là, je trouve Nancy bien austère. Mais à Metz, après cette année de la guerre, où l’on avait tant pleuré, tant vu de deuils et de désastres, on jugeait avec sévérité les moindres divertissemens. J’entends encore une vieille tante s’écrier, a l’annonce d’une réjouissance nancéenne : « Ah ! toujours en fête, vos gens de là-bas ! »

Ces propos un peu vifs ne faisaient que traduire l’opposition qu’il y a entre la Haute et la Basse-Lorraine, comme sans doute aussi entre la Haute et la Basse-Alsace. Nuls pays plus diversement colorés ut nuancés que ceux-là. La Basse-Lorraine