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s’était servi de la couronne de Suède et de plusieurs princes de l’Empire. Seulement, ceux-ci, Richelieu avait pu les traiter en alliés fidéles, tandis qu’ « en rendant trop puissans les rois de Sardaigne et de Prusse, nous n’avons fait de ces deux princes que des ingrats et des rivaux. » Grande leçon : ces deux princes, on les gouvernerait dorénavant par l’espérance et la crainte. Eh bien ! n’était-ce pas la sagesse ? « En adaptant son système de politique extérieure à des conditions nouvelles, remarque M. Jacques Bainville, la monarchie française se montrait manœuvrière et novatrice. » Et l’opinion publique ? Entêtée, aveuglément conservatrice.

Pour éclairer l’opinion publique, il y aurait ses penseurs, les philosophes en qui elle avait mis sa confiance. Les rois de Prusse, alors déjà, furent des malins, qui surent mettre dans leur jeu nos philosophes. Frédéric II a enchanté Voltaire. Il suffit de lire les Mémoires de Voltaire pour voir comment le péril prussien, que Louis XIV pressentait en 1701, Voltaire ne le soupçonnait pas après Rosbach. Il était admis, une fois pour toutes, que l’Autriche était l’ennemie, et la Prusse l’amie attendrissante. Cette conviction se manifeste avec ardeur pendant les années révolutionnaires. Le Comité de Salut public déclare : « Depuis Henri IV jusqu’à 1756, les Bourbons n’ont pas commis une seule faute majeure. » Et la faute majeure, c’est le renversement des alliances, un mauvais procédé à l’égard de la Prusse ! Favier, qui n’hésite pas, dénonce « l’aberration de notre système politique de 1756 » et professe que, malgré les déloyautés de Frédéric, un « intérêt commun » liait la France et la Prusse contre les Habsbourg. Danton appelle la Prusse « notre alliée naturelle. » Barthélémy, sur le point de négocier la paix de Bâle, recevra ces instructions : « En méditant bien l’état de l’Europe, tu auras sûrement reconnu que la Prusse et la France doivent se réunir contre l’ennemi commun. » Les soldats prussiens étaient sur notre sol, quand Dumouriez proclamait à l’assemblée : « C’est Léopold qui a animé contre la France le successeur de l’immortel Frédéric ! » L’immortel Frédéric : ces deux mots indiquent la responsabilitô de Voltaire et des philosophes dans la folie générale. C’est en souvenir du roi-philosophe, ami des lumières et protecteur de l’athéisme, — à l’étranger, — qu’on aime tant la Prusse et qu’on la favorise de grand cœur niais.

Jean Jaurès, dans son Histoire socialiste, blâme assez rudement les Girondins d’avoir déclaré la guerre à l’Autriche. La monarchie agonisante fit, pendant les premiers mois de 1792, les plus grands efforts pour empêcher que cette faute fût commise. Et plus tard le Comité de