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toujours dû « le tenir sous sa surveillance. » Pour sa sécurité, la France a besoin de garder ses frontières naturelles ; or, « prolifique et migrateur, » l’Allemand les lui conteste. Il entend conserver ses facilités d’invasion. C’est un peuple qui ne se résout pas à demeurer chez lui ; c’est un peuple de proie. Repousser l’Allemagne, la resserrer dans ses limites, l’empêcher de nuire : voilà l’œuvre, difficile et à jamais inachevée, que la France accomplit depuis le commencement de son histoire. A de certains momens, elle paraît avoir de bons ou d’assez bons rapports avec sa détestable rivale : c’est qu’elle l’a récemment vaincue. Encore ne peut-elle se fier à ce répit que les armes heureuses lui ont procuré ; elle craint le retour des crises et tâche d’en conjurer la menace. Dur travail et, proprement, le travail français.

Sans la précaution française, la guerre eût été continuelle. Pour prévenir la guerre, nos rois, « économes du sang français, » ont pratiqué résolument cette politique : affaiblir l’Allemagne et, à cette fin, la diviser. Sous les Capétiens déjà, toute notre politique, à l’extérieur, tend à ne pas laisser se faire l’unité allemande. Le roi de France eut pour amis ces barons, ces prélats, ces républiques bourgeoises dont les ambitions diverses avaient pour effet d’entretenir l’anarchie d’outre-Rhin. La meilleure diplomatie, jusqu’au XVIIe siècle, nous épargna maintes guerres ; entre la France et l’Allemagne, avant l’avènement de Charles-Quint, il n’y eut, pour ainsi parler, que des escarmouches. On a défini le Saint-Empire « une république fédérative sous la présidence impériale. » L’Empereur ne réussissait pas à être élu sans consentir les sacrifices que ses électeurs réclamaient de sa gratitude : avant de le couronner, on le plumait. Et le principe de la cour de France, Marillac l’a formulé sous le règne de Henri II : « tenir sous main les affaires d’Allemagne en la plus grande difficulté qu’on pourra. » Dissoudre les Allemagnes, ce fut le chef-d’œuvre constant de notre politique ; et cette politique aboutit aux traités de Westphalie, que M. Jacques Bainville caractérise comme suit : « l’anarchie allemande organisée et la sécurité de la France garantie. » Après la guerre de Trente ans, il fallait mettre les Habsbourg dans l’impossibiUté d’obtenir ce que les Hohenzollern ont obtenu il y a un demi-siècle, une domination qui leur permît de constituer une Allemagne. Cela fut fait ; et l’Europe eut de longues années tranquilles. L’Europe ne se repose que si la bête germanique est matée. En se sauvant des griffes de la bête, la France en préservait l’Europe, et de tout temps comme aujourd’hui.