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vous mène bon train par les chemins qu’il a tracés, tant il a soin de vous durant cette course, et vous répond vite quand vous montrez quelque incertitude, et devance le plus souvent vos questions, et vous amuse, et vous repose, et vous entraîne, et, bien avant que vous ne soyez las, vous a conduit où il s’était promis de vous conduire. Quel art charmant, d’une merveilleuse prestesse !

Or, il s’agit de la France. Et, lorsque ce volume s’écrivait, l’ennemi tenait nos départemens du Nord, possédait Lille, Mézières, Saint-Quentin, Laon, vingt autres de nos villes et, des vingtaines de villages. « Guillaume II célébrait son anniversaire dans une église de village français ; tous les jours, Reims ou Soissons étaient bombardées ; tous les jours, un frère, un ami tombait… » dit l’auteur dans son avant-propos. Donc il a fortement éprouvé l’angoisse de l’époque. Et je n’avais pas tort de signaler la jolie élégance de son art, cette gaieté même de l’intelligence heureuse de voir clair, le plaisir de persuader ; mais que de gravité aussi, dans le ton ! et, avec la simplicité de la franchise, une éloquence qui vous presse, vous secoue et vous somme. La rapidité, c’est l’urgence qui l’a voulue. Ce petit volume aurait été, il y a quinze mois, un pamphlet ; il est aujourd’hui un avertissement. Tardif ? — Dans un précédent ouvrage de M. Jacques Bainville, Le coup d’Agadir et la guerre d’Orient, l’on trouverait, parmi les polémiques de ces dernières années, toute la substance dont il a fait son Histoire de deux peuples. Et puis les événemens ont illuminé ce qu’il croyait apercevoir, ce qu’il voyait sans doute, ce qu’il voit mieux, ce qu’il nous invite à examiner maintenant sous un jour cru.

Sa thèse, la voici. La querelle de la France et de l’Allemagne n’est pas un accident ou une série d’accidens fortuits : elle est une nécessité historique. Il y a, dans cette querelle, une terrible tâche, pour la France : une tâche, et une façon d’agir, qui résulte, non des préférences de chacun, mais de la force des choses. Cette façon d’agir a fait ses preuves au cours des âges ; l’expérience l’a consacrée. Cette façon d’agir, la monarchie française l’a trouvée de bonne heure et l’a perpétuellement suivie, pour le salut de la France. Enfin, cette façon d’agir, on l’a méconnue, pour le malheur de la France ; et, chaque fois qu’on l’a méconnue, ce fut à l’instigation de l’opinion publique et de ses vains conseillers ou philosophes. Concluez ; et méfiez-vous, notamment, de la philosophie.

La France a d’autres voisins : l’Anglais, l’Espagnol. Entre eux et elle, des conflits ont éclaté, autant d’épisodes qui ont eu leur solution. Mais, l’Allemand, « la France a toujours dû s’en occuper” elle a