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scientifique sur la valeur morale aiment à penser que, au moins pour les savans qui la font progresser, la science est autre chose que l’outil de merveilleux service dont parlait Montaigne, et que l’habitude de la méditation constante sur ce que les Anglais appellent la philosophie naturelle, incline l’esprit à la sérénité et aussi à la modestie, car le savant, plus que tout autre, doit connaître la grandeur de nos ignorances. Il est triste de constater combien sont nombreuses en Allemagne les exceptions à cette mentalité du véritable homme de science. Quel étrange spectacle que l’effroyable orgueil des savans d’outre-Rhin professant que, là aussi, l’Allemagne est au-dessus de tout !

La prétention de la science allemande à une supériorité universelle est-elle fondée ? Il y a quelques mois, l’Académie des Sciences de Paris rappelait que les civilisations latine et anglo-saxonne sont celles qui ont produit depuis trois siècles la plupart des grands créateurs dans les sciences mathématiques, physiques et naturelles, ainsi que les auteurs des principales inventions du XIXe siècle, sans oublier d’ailleurs les contributions apportées par des nationalités moins étendues. Nous nous proposons, en jetant un coup d’œil sur l’histoire des sciences, de montrer que, effectivement, la plupart des contributions essentielles, tant théoriques que pratiques, n’appartiennent pas à des savans ou inventeurs allemands. Après cette esquisse du développement de la science moderne, nous chercherons à analyser les causes des prétentions de la science germanique ; quelques-unes sont d’ordre philosophique, d’autres tiennent à une confusion entre le progrès réel de la science et l’accroissement du rendement scientifique. Peut-être aura-t-on l’impression que la part apportée par l’Allemagne est loin d’être en rapport avec le rôle qu’elle prétend jouer dans le monde.


I

À diverses reprises, l’Allemagne fut entièrement tributaire de la civilisation celto-latine. C’est ainsi que, dans l’antiquité, le Germain barbare fut tributaire du Celte, et qu’aux XIIe et XIIIe siècles, la civilisation germanique n’a été qu’un