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« coup dur, » et nous étions désolés de nos camarades tués… On fut encore à la portion congrue, malgré qu’on nous eût apporté la soupe de l’échelon, mais la moitié en avait été perdue en route… Pour le reste, même journée que la veille. Les Allemands continuèrent à tirer à deux reprises pendant une heure, avec une parfaite inutilité ; leurs obus étaient heureusement percutans et, tombant tout près des pièces, ne leur faisaient aucun mal. S’ils avaient tiré fusans, les batteries auraient « pris. » Déjà, l’ouïe s’accoutumait aux sifflemens des projectiles, et nous arrivâmes rapidement à reconnaître leur direction approximative, ce qui était très utile pour se « planquer des mouches ou voltigeurs (éclats). » Finalement, retour à la même position, en passant près de l’emplacement des avant-trains où avait eu lieu l’accident du matin ; les chevaux morts sentaient déjà la charogne à plein nez d’une façon insupportable ! Ils furent enterrés seulement deux jours après par les civils. Je n’oublierai jamais cette odeur.

Le dimanche matin (16), les Allemands ou, plus exactement, les Bavarois car c’étaient eux qui étaient devant nous, étaient silencieux. L’infanterie les avait délogés à la baïonnette, la veille au soir, et une de leurs grosses batteries avait été réduite au silence par nos 120, enfin arrivés. Ah ! l’artillerie lourde ! Combien nous avons regretté sa pénurie au début de la guerre ! Heureusement, on y a remédié depuis et nous avons pu lutter victorieusement avec leurs 130, 150 et 210, qui tirent trop loin pour notre 75.

L’aéro fatal de la veille revint se promener au-dessus de nous à deux reprises, très bas. La seconde fois, nous l’attendions… A 300 mètres, j’entendis le capitaine commander son tir, « au trot ! » d’une voix furibonde… Les deux groupes tirèrent ; c’était passionnant ! nous hurlions comme des enragés : « Ça y est ! il est touché ! . » En effet, ça y était ! L’aéro entrait dans un nuage, il ressortit beaucoup plus bas, moteur arrêté ; son réservoir était crevé et le pilote blessé (on l’avait remarqué à la lorgnette) ; aussi fut-il obligé de descendre dans nos lignes. C’était la première vengeance de nos pauvres camarades tués la veille !

En revenant de faire boire et de ravitailler, j’eus l’immense plaisir de recevoir un paquet de lettres de chez moi ! J’étais sans nouvelles depuis quinze jours et on ne peut s’imaginer le