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religieuse précise il y a plusieurs raisons, toutes d’ordre psychologique, en particulier celle-ci, c’est que dans le passé, par des temps de détresse et de « grande pitié, » comme aujourd’hui, le Divin nous a sauvés, laissant de ce succès des traces dans la subconscience profonde, d’obscures images, de lointaines souvenances.

Hier un médecin, qui arrive du front, me communiquait ce petit croquis. C’est dans la tranchée, en Champagne. Les préparatifs de l’attaque sont terminés. On vérifie la solidité des baïonnettes, les batteries des fusils. On attend le signal. Un sergent s’adresse à ses hommes. Il est prêtre. « Attention, regardez-moi. Je vais lever la main : que ceux qui veulent être absous regrettent leurs fautes et fassent le signe de la croix. Ils seront absous. De confession et de pénitence, il n’y en a pas. Allons-y. »

D’où est-il cet homme qui a dit ces choses ? Du Nord ou du Midi, des bords de l’Océan ou des frontières de l’Est ? Est-il peuple, bourgeoisie ou noblesse ? Je ne sais, ni ne veux savoir. Je sais qu’il est Français, de pure race, d’une souche aux racines profondément enfoncées dans notre passé et qui par elles remonte très loin, très haut, jusqu’à Roland et ses compagnons dans le val de Roncevaux.

Les barons sont prêts pour donner la bataille, car ils ont les Sarrasins « devant le nez. » Alors l’archevêque Turpin s’avance et leur dit :

Clamez vos fautes, demandez grâce à Dieu !
Je vous donnerai l’absolution pour guérir vos âmes !
Si vous mourez, vous serez saints martyrs !
Vous aurez place dans le grand paradis !
Les Français descendent, mettent pied à terre,
Et l’archevêque de Dieu les a bénis,
Pour pénitence, il leur dit : frappez.

O l’admirable continuité de l’âme française, ô l’héroïque et religieuse durée de cette âme, qui, à douze siècles de distance, dans un moment de péril extrême, la fait se manifester dans les mêmes gestes et les mêmes paroles !


IX

À ces heures d’extrême péril, l’accord entre l’intelligence et l’instinct de vie est absolument nécessaire et d’ailleurs plus