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Il est vrai que, d’abord, l’opinion russe ne pouvait manquer de se montrer quelque peu sceptique vis-à-vis de semblables nouvelles. Elle était tentée de les attribuer, pour une part, à la généralisation de certains faits accidentels, et, pour une autre part, à des exagérations amplement justifiées, d’ailleurs, par l’inévitable désarroi nerveux de personnes qui, du fait de la déclaration de guerre, s’étaient vues exposées à une situation forcément très pénible, sans que, cependant, la responsabilité de celle-ci pût être expressément imputée aux représentans du pouvoir. Mais voici que, de jour en jour, les sujets russes qui avaient réussi à s’échapper d’Allemagne non seulement se sont accordés sans exception à confirmer tous les témoignages antérieurs sur l’attitude barbare de la population et des autorités allemandes envers des voyageurs inoffensifs et hors d’état de se défendre, mais voici qu’en outre ces nouveaux arrivans ont révélé d’autres détails, plus effroyables encore, concernant la manière dont le public, les soldats, et jusqu’aux plus hautes autorités officielles de l’empire germanique ne cessaient pas de traiter nos compatriotes !

Cela étant, le ministère des Affaires étrangères a jugé indispensable d’instituer une enquête qui lui permit de se rendre un compte bien exact de la situation. Et c’est ainsi qu’il lui a été donné d’établir avec certitude une abondante série de faits, qui contrastent aussi profondément que possible avec l’image conventionnelle d’une nation allemande digne de figurer parmi les plus cultivées des nations européennes.


Les lignes qu’on vient de lire formaient le préambule d’une longue relation, publiée, le 24 août/5 septembre dernier, dans le Journal officiel de Petrograd. Après quoi venait l’exposé sommaire de l’ « abondante série de faits établis avec certitude » par l’enquête du ministère des Affaires étrangères. Les auteurs de la relation nous décrivaient tour à tour la « conduite de la population et des autorités allemandes » à l’égard des membres du corps diplomatique russe, des membres de la délégation russe à l’Exposition internationale de Leipzig, et de plusieurs catégories de baigneurs ou de touristes russes « surpris par la guerre en territoire allemand. » À cette émouvante série d’ « atrocités » allemandes le document opposait ensuite, en quelques mots, la manière toute modérée et « humaine » dont avaient été traités, dans le même temps, les sujets allemands surpris par la guerre en territoire russe : tout au plus y avait-il eu, à Petrograd, dans la première semaine d’août, un timide essai de soulèvement populaire, aussitôt arrêté par la police. Et enfin les auteurs de la relation mettaient en relief la responsabilité, absolument incontestable, des « représentans du pouvoir allemand » à tous ses degrés dans un état de choses que ces « représentans, » — bien loin de tâcher, eux