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tauromachie de Goya. Avec cela, c’était dans l’appartement un luxe de fleurs extravagant et le reste de la vie à l’unisson : domestiques en livrée, vaisselle plate, que sais-je ? trois automobilesl Le magicien arabe était un Parisien parisiennant, qui avait sa baignoire aux Français et à l’Opéra pour les jours d’abonnement, sa loge à toutes les répétitions générales. Je le comparais à un personnage des Mille et une Nuits. Moralement, il s’appariait plutôt à un docteur Faust, assoiffé de toutes les joies de la vie, et les étreignant toutes. Son extraordinaire prestige sur nous, ses élèves, venait de cette dualité : un prince de la science vivant princièrement. Il nous apparaissait comme l’incarnation même du succès. Professeur à quarante ans, après d’éclatans succès de concours, il avait les honneurs. Il avait la pensée. Il avait la gloire. Il avait l’argent, — on parlait d’une année ou il avait « fait le million ! » — Il semblait, jusqu’à sa terrible maladie, avoir l’éternelle jeunesse. Il avait pu, à quarante-quatre ans, sans que personne s’avisât de trouver cette union ridicule, épouser une enfant de vingt ans, qui portait, elle aussi, un nom illustre dans la médecine, la fille du physiologiste Malfan-Trévis, l’élève favori de Claude Bernard. Dans ces années-là, — qu’elles sont récentes, puisque ce mariage data de 1908, et qu’elles sont loin ! — le Professeur et M""* Ortègue n’entraient pas dans une assemblée quelconque, salle de théâtre où d’exposition, sans que la jeune femme ne provoquât cette attention admirative qui fait battre d’orgueil le cœur du mari plus âgé, en attendant que ce soit de jalousie.

IV

Je viens de m’arrôter d’écrire pour la revoir, en souvenir, cette femme, aujourd’hui si malheureuse, quand elle n’était que la fiancée de mon maître, alors si heureux lui-même. De quel accent il m’avait annoncé cet événement, très inattendu pour nous I II flottait autour de lui une légende de bonnes fortunes, incompatible, semblait-il, avec l’enthousiasme naïf de phrases comme celle-ci :

— (( Oui, mon cher Marsal, je me marie, et j’ai trouvé l’Idéal. Vous m’entendez, l’Idéal. Vous me comprendrez quand vous verrez Catherine. Je l’appelle par son petit nom. Je l’ai