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ricaine, on doit essayer de s’affranchir de toute sentimentalité. Certains milieux ne pourront certes pas y renoncer : ce sont ceux où l’on recommande la guerre au couteau et où l’on se trouve dans une sorte d’état d’irrédentisme intellectuel. Nous ne pouvons pas et nous ne voulons pas leur enseigner la raison. Ils ne seront bientôt plus composés que d’un petit nombre de héros de la parole et de la plume qu’on n’écoutera point et qu’on ne comprendra point. Le chancelier ne doit pas en tenir compte. Ils ne sont point à leur place dans la politique. » Cette condamnation sévère du pangermanisme ne pouvait pas manquer de soulever une tempête. Tous les journaux du parti ont jeté feu et flamme, et dans le nombre le Deutsche Tages-Zeitung, organe habituel de l’amiral de Tirpitz s’est distingué par sa vivacité. Un article du comte Reventlow a paru y dépasser la mesure. Il concluait en disant : « Après les déclarations du Lokal Anzeiger, il y a bien des gens et non seulement en Allemagne, qui croient que le point de vue du gouvernement allemand s’est modifié. Une note semi-officieuse serait non seulement désirable, mais indispensable pour éclairer la situation. Le moment est incontestablement critique. » Et l’Amérique ? Le Tages-Zeitung en fait fi. C’est cet article qui a valu au journal une suspension. Comment savoir où est la vérité officielle, la seule qui existe en Allemagne, si les ministres se disputent, l’un disant blanc et l’autre noir ? On se tourne vers l’Empereur, mais il se tait. Cependant, et un pareil fait n’a pas pu passer inaperçu, il a décoré le commandant du sous-marin qui a torpillé le Lusitania, ce qui est peut-être une expression d’opinion, mais aussi une rare insolence à l’égard de l’Amérique. Avec l’Empereur, toutefois, on n’est sûr de rien : il n’est pas impossible qu’il ait manifesté énergiquement dans un sens pour se montrer ensuite plus conciliant dans un autre. Sa politique a de ces oscillations. Puisque nous cherchons la vérité officielle, peut-être la trouverons-nous dans la Gazette de l’Allemagne du Nord, le journal officieux par excellence, qui résume ainsi le débat : « On a créé l’impression que les cercles officiels, pour conserver la paix avec l’Amérique, pensent à abandonner les avantages de la guerre sous-marine. D’autre part, le Tages-Zeitung s’est laissé aller à la sotte assertion que le fait d’ajouter les États-Unis à la liste de nos ennemis n’avait pas d’importance… Les hommes qui ont la responsabilité de peser les dangers et les avantages ne sont pas affectés par les accusations de faiblesse ou de manque de courage. Ils ont le sentiment de la force et de la dignité nationale, au moins au même titre qu’un correspondant de journal. De telles critiques ne peuvent