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nous unissions, — patriotiquement, — nos railleries à celles de la masse ignorante des journalistes ?

Mais à cette réponse j’imagine que les compatriotes de M. Paterson ne seraient pas en peine de répliquer pour leur part, tout de même que le feraient sûrement, et d’un élan unanime, tous les lecteurs français si quelqu’un de chez nous s’avisait de pousser à un égal degré le prétendu souci de la « vérité scientifique. » Ils répliqueraient d’abord en rappelant aux professeurs d’Edimbourg que, devant l’ « erreur » commise par les journaux, ces savans hommes auraient eu, tout au moins, la possibilité de se taire. Aucun dommage n’en serait résulté pour leur renommée « scientifique, » et aucun dommage non plus pour les intérêts nationaux de leur patrie, — sauf pour celle-ci à se guérir plus tard de son « erreur, » lorsque les « contributions » de la science allemande ne risqueraient plus d’exterminer ses enfans jusque dans leurs berceaux.

Et puis, — ajouteraient d’une seule voix les lecteurs français, — il y a eu sans doute en Angleterre, aussi bien que chez nous, des savans qui, connaissant non moins profondément que vous le véritable « rôle » de la pensée allemande, ont trouvé dans leur cœur de patriotes un moyen d’utiliser cette connaissance au profit de leur cause nationale, sans rien sacrifier de leurs devoirs d’impartialité scientifique. Votre directeur, M. Paterson, n’a-t-il pas été contraint d’avouer lui-même que la « mégalomanie morbide » des Allemands leur a fait concevoir une idée « excessive » de leur propre valeur ? Au lieu de vous indigner de la manière dont cette « erreur » allemande, — issue d’un monstrueux et stupide orgueil, — a pu mener par contrecoup des écrivains anglais ou français à nier tout à fait la valeur de l’Allemagne, n’auriez-vous pas dû essayer de nous apprendre en quoi consiste, bien exactement, la part de l’ « erreur, » dans cette peinture que nous font nos barbares ennemis de leur « prééminence ? » Ainsi ont fait M. Picard, et M. Duhem, et d’autres célèbres savans de chez nous dont je parlais au début de cette chronique. Sans contester à l’Allemagne ses mérites réels, ils ont voulu réduire devant nous ces mérites à leur juste mesure, et par-là ils ont « contribué, » eux aussi, à l’œuvre patriotique dont ne saurait être dispensé aucun savant de France, non plus que d’Angleterre. Ils y ont contribué non point, peut-être, en nous représentant l’Allemagne comme n’ayant joué qu’un rôle intellectuel de « second plan, » — encore que, sur bien des points, leur conscience de savans les ait forcés d’aboutir à des conclusions très différentes de celles qui nous sont exposées par M. Paterson