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d’empiéter parfois sur d’autres vérités non moins fondamentales ! Au même moment, les colonies espagnoles de l’Amérique se révoltent contre la mère patrie, et le monde assiste à une véritable éclosion de peuples : Chili, 1817 ; Guatemala, Honduras, San Salvador, Nicaragua, Costa-Rica, 1821-1842 ; Mexique, 1824 ; Bolivie, 1825, Pérou, 1826 ; Brésil, 1826 ; Confédération Argentine, Uruguay, Paraguay, 1829 ; en 1830, les républiques de l’Equateur, du Venezuela et de la Nouvelle-Grenade. En Afrique, c’est l’Abyssinie ; en Europe la Grèce affranchie à partir de 1828 ; la Belgique en 1831 ; l’unité de l’Italie (1861 et 1870) ; l’unité de l’Allemagne, 1871 ; le Monténégro, 1880 ; la Roumanie, 1881 ; la Serbie, 1882 ; la Bulgarie, 1885. Sans se demander si l’application du principe des nationalités proclamé par elle ne deviendrait pas la source de sérieux dangers en se retournant contre elle, la France se posa comme le champion de la liberté des races opprimées. On croyait alors que, lorsque toutes les nationalités seraient organisées, les guerres deviendraient plus rares, même qu’il n’y en aurait plus. Albert Sorel se montre moins confiant : « Le système des nationalités, dit-il, a déjà provoqué et provoquera plus de guerres que ne l’ont fait autrefois les querelles religieuses, et que ne le font de nos jours les ambitions des rois. Les convoitises des nations sont plus âpres, leurs triomphes sont plus hautains, leurs mépris sont plus insultans que ceux des princes ; ils soulèvent aussi des ressentimens plus amers et plus durables… »

En 1870, l’idée de patrie se manifeste avec la splendeur d’une adhésion universelle, allant jusqu’aux sacrifices les plus sublimes ; mais la superbe défense des armées de métier et des armées improvisées ne put compenser l’insuffisance du commandement ; il fallut succomber glorieusement ; du moins, l’honneur était sauf. Tous, nous nous sentions amputés par la diminution tragique de la France, tous nous avons frissonné, pleuré, en lisant les vers de Victor Hugo :


… Ah ! je voudrais,
Je voudrais n’être pas Français, pour pouvoir dire
Que je te choisis, France, et que, dans ton martyre,
Je te proclame, toi que ronge le vautour,
Ma patrie et ma gloire, et mon unique amour.


Et, comme des reliques sacrées, nous enfermions en nos cœurs les mots-médailles qui traînent derrière eux un long