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à dégager l’idée de patrie des derniers nuages qui l’obscurcissaient encore.

Qui ne connaît les merveilles enfantées par le patriotisme militaire ? Elles furent préparées, rendues possibles par le patriotisme politique des hommes de la Constituante, de la Législative, de la Convention ; quelquefois sans doute, ces hommes ont créé l’obstacle, la plupart du temps ils l’ont aplani ou brisé, en même temps qu’ils établissaient pour la France des titres à la reconnaissance du genre humain. La fête de la Fédération (14 juillet 1790), fut le rayonnant symbole de l’unité française présentée comme une personne morale résumant toutes les forces vives de la nation. Et certes les armées de la Révolution renfermaient l’élite morale de la France, mais il ne faut pas non plus méconnaître, comme on l’a fait souvent, l’œuvre immense, violente, libératrice en somme, malgré mainte erreur, des assemblées de cette époque. Joseph de Maistre nous apporte à ce sujet un aveu significatif : « Qu’on y réfléchisse bien, on verra que, le mouvement révolutionnaire une fois établi, la France et la monarchie ne pouvaient être sauvées que par le jacobinisme… Que demandaient les royalistes, lorsqu’ils voulaient une contre-révolution telle qu’ils se l’imaginaient, c’est-à-dire faite brusquement et par la force ? Ils demandaient la conquête de la France ; ils demandaient donc la division, L’anéantissement de son influence et l’avilissement de son roi, c’est-à-dire 1des massacres de trois siècles peut-être, suite infaillible d’une telle rupture d’équilibre… » La Convention fut à la hauteur de tous les dangers, elle décréta la levée en masse. Carnot, avec le Comité de Salut public, organisa de nouvelles armées, fournit aux généraux les élémens de la victoire. Albert Sorel apprécie cet effort avec une éloquente impartialité : « Les âmes des hommes qui composaient la Convention étaient troublées toujours et passionnées, obscures, étroites souvent et possédées du plus aveugle des fanatismes, celui de la raison entêtée de soi-même. Et cependant leurs mouvemens s’ordonnèrent selon une loi commune : cette Assemblée, où les rivalités rongeaient tant d’âmes subalternes, manifesta, dans la défense de la patrie, une grande âme collective, toute de sacrifice, de constance, de foi. C’était une émanation de l’âme même de la France. Le peuple français, si souvent méconnu, abusé ou opprimé par la Convention, vécut néanmoins en cette Assemblée et l’inspira… Elle