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Sokol, pour prendre les dispositions nécessaires en vue de la possibilité d’un « gueutch » (déménagement) dans le courant d’avril, et aussi un peu pour nous distraire et nous rafraîchir les idées. Tout semblait être à la paix ce jour-là ; les nouvelles venant de l’étranger étaient calmantes ; nous nous sentîmes envahis par ces mêmes dispositions lorsque, en quittant Buyukdéré, nous vîmes déboucher de la pointe de Yenikeui un monitor turc. Cela nous intéressa et nous montâmes sur la passerelle pour le voir passer, lorsque la vigie nous annonça qu’il était suivi d’un second et d’un troisième : c’était une escadrille, et le pavillon amiral de Hobart pacha était sur le mât de l’un d’eux. Intrigués par ce spectacle, nous ralentîmes la marche et découvrîmes que l’escadre jetait l’ancre entre Buyukdéré et Kavak, comme si elle attendait une attaque immédiate du côté de la Mer-Noire. Cela ne manqua pas de troubler nos dispositions pacifiques, et nous eûmes le soir même l’éclaircissement de l’affaire. L’ambassadeur de Turquie mandait de Pétersbourg que les dispositions guerrières prenaient le dessus, que le prince Gortchakof insistait sur différens points restés en suspens, entre autres sur des cessions de territoire au Monténégro qui empêcheraient la conclusion de la paix avec cette principauté, et que le langage du chancelier devenait de plus en plus menaçant. Je reçus, en effet, aussitôt après l’ordre de faire des représentations énergiques à la Porte et d’exiger la cession des territoires réclamés par le Monténégro, en faisant entendre que le refus de la Porte pourrait amener une rupture. Immédiatement après (c’était, je pense, dans les derniers jours de mars), on me remit un matin un long télégramme chiffré du prince Gortchakof. L’employé chargé de le déchiffrer revint au bout de quelques instans me dire (c’était, je crois, M. Basily, premier secrétaire) qu’ayant commencé le déchiffrement il a trouvé les premiers mots : « Déchiffrez seul, » et qu’il était venu me demander si je voulais aller me mettre moi-même à la besogne. Je descendis aussitôt à la chancellerie et commençai, avec l’aide de M. Basily et de Goubostoff, dont la discrétion à toute épreuve m’était absolument connue, à déchiffrer le texte suivant, dont je crois rendre exactement non seulement le sens, mais même presque les termes : « Manifeste de guerre et passage de la frontière fixés au 12 avril. Vous adresserez la veille une note à la Porte,