Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/267

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mouvemens dans cette mer, construire une assez puissante escadre qui aurait été réellement dangereuse pour Constantinople, mais on ne l’avait pas fait. Plusieurs cuirassés étaient envoyés aux bouches du Danube et nous devions nous trouver menacés sur toutes nos côtes méridionales dès que la guerre aurait été déclarée.

Cependant, à côté de ces préparatifs militaires, des symptômes en apparence pacifiques ne manquaient pas non plus. Comme, à la suite de notre ultimatum et de l’ouverture de la Conférence, les Turcs s’étaient déclarés prêts à conclure la paix avec le Monténégro et la Serbie, des délégués des deux Principautés étaient arrivés à Constantinople pour négocier et se trouvaient placés un peu sous ma protection. C’étaient, pour la Serbie, Philip Christitch, qui avait été de longues années agent à Constantinople, homme doux et conciliant, mais extrêmement peureux, et le sénateur Matitch, d’une trempe plus solide ; pour le Monténégro, le cousin du prince, Bojidar Petrovitch, président du Sénat, que je connaissais par ses voyages à Vienne et en Russie, et son parent Stanko Radanitch, homme fin et cultivé, ayant fait des études à Paris avec le prince Nicolas, et charmant de formes. Leurs pourparlers avançaient difficilement, subissant les fluctuations de la situation générale qui se présentait successivement plus ou moins pacifique. La paix avec la Serbie était cependant déjà conclue, lorsque les événemens prirent subitement un aspect guerrier. C’était vers la seconde partie de mars, autant qu’il me souvienne. Poursuivant avec persévérance son idée d’empêcher la guerre, le comte Schouvaloff avait proposé de faire une déclaration par laquelle nous annoncerions que, voulant éprouver la sincérité de la Porte et faire une dernière tentative de solution pacifique, nous lui donnerions un an pour appliquer les réformes qu’elle avait promises, et satisfaire les légitimes exigences de ses sujets chrétiens. L’Europe aurait ainsi une année pour s’employer à la pacification de l’Orient, et il était à présumer que, n’étant plus sous la pression morale d’une rupture imminente, on trouverait de part et d’autre plus facilement le moyen de s’entendre. Telle se présentait cette proposition en théorie ; telle elle ne pouvait être envisagée au point de vue de son application pratique. Quoi ! nous resterions une année entière l’arme au bras, attendant que l’on décidât de la guerre ou de