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roumain y fut exprimée d’une façon plus explicite, et le Cabinet de Bucarest eut une apparence de raison de nous accuser plus tard, lorsque, à San Stefano, nous avons réclamé la rétrocession de la partie de la Bessarabie détachée en 1850, d’avoir manqué à nos engagemens et agi avec mauvaise foi. Je m’étais évertué en vain d’épargner à mon pays cette humiliation.

Le soir même du jour où eut lieu la lecture avec M. Bratiano du texte de la convention définitivement arrêté, je quittai Bucarest avec le prince Cantacuzène. M. Bratiano me dit, au moment de prendre congé de moi, des choses fort obligeantes et flatteuses pour ma personne et me transmit de la part du prince Charles l’expression de ses regrets de ne pouvoir me recevoir personnellement et faire ma connaissance. C’est avec une joie sincère que nous vîmes, mon compagnon de réclusion et moi, arriver le terme de notre séquestration qui me fit comprendre, en infiniment petit, les souffrances de la prison. Au moment de nous rendre à la gare, une dernière crainte surgit en nous : si nous rencontrions dans le train quelqu’un de notre connaissance ? Heureusement, il n’en fut rien et nous arrivâmes sans encombre, le lendemain soir, à Yassy où nous dûmes passer la nuit. Le matin du jour suivant, par un horrible temps de pluie froide avec neige, gelée et vent glacial, nous nous mîmes en route pour Ungheni, où un train spécial devait venir nous prendre, la circulation régulière n’étant pas encore ouverte sur cette ligne toute nouvelle. Mais le chef de gare nous déclara que les pluies et la gelée avec chasse-neige des derniers jours avaient rendu la voie impraticable. Une locomotive que l’on voulait envoyer pour nous prendre de Kolovachi, la station précédente, ne put pas franchir une certaine montée, et, depuis quelques heures, les lignes télégraphiques mêmes étaient rompues, par suite de l’accumulation de la glace sur les fils, qui, dans plusieurs endroits, étaient brisés. Pas moyen non plus de les envoyer réparer ou d’aller jusqu’à Kolovachi en voiture ou en traîneau puisque, à cause du verglas, les routes étaient absolument inaccessibles à la circulation. Force nous fut de rester à Ungheni. Un officier de gendarmes mit à notre disposition la seule chambre de son logement qui ne servait pas de chambre à coucher à lui, à sa femme et à ses enfants : ceux-ci, tous en bas âge, faisaient un vacarme épouvantable. Nous passâmes ainsi deux ou trois jours, et j’en profitai pour rédiger mon