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éventuel de nos troupes par la Principauté. Le prince Charles et M. Bratiano avaient été à Livadia et on les avait pressentis à ce sujet. Le général Ignatieff, à qui cette affaire fut confiée, envoya d’abord pour sonder le terrain un de nos drogmans qui avait été en Roumanie, un certain Bélotzerkovitz. A son retour, mon départ fut décidé, et je m’embarquai pour Odessa, le 2 novembre si je ne me trompe, sous le prétexte d’aller en Bessarabie voir ma sœur, qui y était mariée.

Les principales questions qui se présentaient pour moi dans l’accomplissement de la mission qui m’était confiée, étaient : l’une, une question de forme ; l’autre, une question de fond. La première consistait à savoir en vertu de quels pleins pouvoirs je devais traiter et quel caractère devait avoir l’arrangement à conclure. Le général Ignatieff, qui ne doutait de rien, me répondit que c’est lui qui m’accréditerait, que, la Roumanie étant un État vassal de la Turquie et lui accrédité auprès de la Porte, il pouvait déléguer ses pouvoirs. J’eus des doutes sur la régularité de ce procédé et surtout sur l’accueil qu’il rencontrerait de la part du gouvernement roumain. Mais il n’y avait pas de temps à perdre pour porter la question à Pétersbourg et je partis muni d’une lettre de l’ambassadeur pour M. Bratiano, premier ministre, par laquelle il lui annonçait que j’étais chargé de négocier et de signer un arrangement secret en vue des éventualités possibles. La question de fond était de définir ce que je devais obtenir du gouvernement roumain et quelles étaient les limites des sujets qui devaient être abordés et résolus. Il était évident que les Roumains ne se prêteraient pas facilement à nous laisser traverser leur pays pour combattre les Turcs sans vouloir soulever un peu le voile de l’Avenir et se garantir aussi contre les conséquences fâcheuses d’une guerre qui pouvait tourner à notre désavantage. Il était notoire en outre que l’empereur Alexandre II considérait comme une question d’honneur pour lui de récupérer la partie de la Bessarabie qu’il avait dû céder par le traité de Paris, afin de rendre à la Russie en Europe les limites qu’elle avait eues à son avènement au trône. Les Roumains s’en rendaient parfaitement compte ; Bratiano en avait parlé à Livadia, et il n’y avait pas de doute qu’il me poserait cette question dès le début. Or, autant j’étais versé dans les affaires politiques et me sentais en état, muni d’instructions précises, de traiter une question