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voyait de loin les feux des deux rives du Bosphore. On allait continuellement à la fenêtre pour voir si une mouche à vapeur ne venait pas de Yenikeui nous apporter une solution. Tout le monde était agité, et l’agitation augmentait à mesure que le temps passait. Elliot aussi commençait à être inquiet ; il redoutait un changement de décision de la part des Turcs. Enfin, après minuit, il dut bien retourner à Thérapia, et on prit congé de lui comme si on devait partir le lendemain matin. Nous nous séparâmes fort tard dans la nuit, après avoir mis encore la dernière main aux affaires qu’il s’agissait de régler. J’allai me coucher, comme nous tous du reste, dans la plus complète et pénible incertitude. Le paquebot qui devait nous emmener était sous vapeur sous nos fenêtres.

En me réveillant le lendemain matin, ma première question fut naturellement si une réponse était arrivée et si nous restions. Après trois heures du matin, un employé de la Porte était venu apporter la note qui acceptait nos demandes et nous n’avions qu’à déballer nos malles. Mais le temps s’était gâté. Les premières pluies d’automne accompagnées de tempêtes avaient commencé, et force nous fut de rester à Buyukdéré à attendre, en gelant dans nos appartemens, une réapparition du soleil. Mais le mauvais temps se prolongeait, les communications avec la ville devenaient horriblement difficiles ; et les affaires en souffraient. Nous finîmes par perdre patience et rentrâmes à Péra par une tempête épouvantable accompagnée d’une pluie torrentielle. C’était (si je ne me trompe) le 28 octobre (vieux style).

En attendant, l’Empereur, revenant de Crimée à Pétersbourg, annonça la mobilisation à Moscou, au milieu d’un immense enthousiasme. L’état-major du grand-duc Nicolas était formé On m’avait, avant même le retour du général Ignatieff, proposé d’assumer la charge de directeur de la chancellerie diplomatique, que je m’empressai d’accepter. Ma femme, qui était allée en Crimée par le bateau de guerre Eriklik, qu’avait amène Ignatieff, y fut reçue de la façon la plus gracieuse. L’Empereur, l’Impératrice la comblèrent d’attentions et de grâces, on lui fit des complimens chaleureux sur ma conduite durant mon difficile intérim. Un rôle important m’était destiné désormais. Io devais, avant de prendre la direction de la chancellerie diplomatique, aller à Bucarest négocier une convention pour le passage