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SOUVENIRS
D’AVANT ET D’APRÈS LA GUERRE DE 1877-1878[1]

(1876.) L’Ambassade avait l’habitude de célébrer, le 30 août, la fête de l’Empereur par une grande illumination, un feu d’artifice et une réception à l’Ambassade. La musique jouait ordinairement sur le quai devant l’Ambassade et les habitans de tout le haut Bosphore s’y rendaient, de manière que cette date était devenue un jour de fête pour tous les alentours. Les Musulmans y prenaient part comme les Chrétiens et c’était une espèce de réjouissance publique. Mais, cette année, l’excitation des passions politiques et nationales, et la crainte de conflits et de désordres avaient fait penser à plusieurs personnes qu’il serait prudent de ne pas célébrer aussi bruyamment le 30 août.

M. Onou était un de ceux qui redoutaient le plus l’excitation des Musulmans des villages voisins et quelque manifestation hostile de leur part. Il vint me faire des représentations pressantes dans ce sens en me conjurant de renoncer à la musique, au feu d’artifice et à l’illumination. Nous pourrions célébrer la fête en famille, avec calme. On risquerait, autrement, de la voir troublée par des charivaris ou des volées de pierres dans nos fenêtres. Je n’étais pas de cet avis. Il fallait avec les Orientaux, disais-je, montrer qu’on n’a pas peur. Ils savent que la fête a lieu tous les ans. Si nous renonçons à l’illumination, ils se diront que c’est par peur, et c’est alors que nous serons exposés à leurs insultes. Je prendrais toutes les mesures pour prévenir des désordres, s’il s’en produisait, mais

  1. Voyez la Revue du 15 mai.