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pour un plat de lentilles, et nous entendons par droit d’aînesse celui que sa grande situation lui donne de réunir, si elle le veut, dans son giron toutes les populations latines des Balkans. À elle, comme à l’Italie, une admirable et peut-être unique occasion s’offre de réaliser d’un seul coup la totalité des aspirations nationales. L’Italie a été seule jusqu’ici à ne pas la laisser échapper.

Lorsqu’on étudie la politique italienne d’après les révélations qui nous ont été faites par le Livre vert et par des discours retentissans, on voit qu’elle a été une œuvre, et même un chef-d’œuvre de prévoyance initiale et de continuité. Nous en avons eu une preuve nouvelle le 24 juin, en écoutant le discours que M. Tittoni a prononcé à l’anniversaire de la bataille de Solférino. La fête avait réuni au Trocadéro une foule immense, venue pour témoigner de la vieille sympathie de la France envers l’Italie et pour communier avec celle-ci dans le souvenir d’une gloire commune. M. Paul Deschanel, M. le sénateur Rossi, maire de Turin, M. Gustave Rivet, président de la Ligue franco-italienne, M. Stephen Pichon, ancien ministre des Affaires étrangères, ont fait entendre d’éloquentes paroles : mais le discours de M. l’ambassadeur d’Italie a été une page d’histoire politique. Il complète celui de M. Salandra au Capitole. On se rappelle que M. Giolitti a raconté un jour à la tribune qu’un an avant la guerre le gouvernement italien avait été pressenti par le gouvernement austro-hongrois au sujet d’une agression que celui-ci préméditait déjà contre la Serbie et que la réponse italienne coupa court, — provisoirement, — à tout projet de ce genre : il en suspendit du moins l’exécution. M. Tittoni nous en a appris encore un peu plus. Au mois d’avril 1913, il reçut à Paris un télégramme du marquis di San Giuliano qui, ayant lieu de craindre alors une intervention isolée de l’Autriche-Hongrie contre le Monténégro, lui demandait « son avis autorisé sur la voie à tenir. » M. Tittoni répondit aussitôt que si l’Autriche occupait tout ou partie du Monténégro, l’Italie ne devait pas hésiter à occuper de son côté Durazzo et Valona, et il ajoutait : « Le jour où l’Autriche prétendrait troubler de n’importe quelle façon ou mesure l’équilibre de l’Adriatique, la Triple-Alliance aurait cessé d’exister. » Il n’est pas douteux que le marquis di San Guiliano ait fait la démarche qui lui était conseillée. L’Autriche a donc su ce qu’elle faisait au mois de juillet de l’année dernière et à quoi elle s’exposait de la part de l’Italie. Mais il semble bien qu’elle ne s’expose à rien de pareil du côté de la Roumanie. Tout sollicite la Roumanie à l’action, ses intérêts évidens, les circonstances, l’exemple d’autrui : elle ne