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ses silences et sachez ce que vous dérobèrent un masque pâlot et des regards qui fuyaient l’interrogation du vôtre. »

L’Élève Gilles, c’est tout uniment le récit de la onzième année d’un enfant. Et, cet enfant, l’auteur ne l’a pas doué d’un singulier génie, d’aptitudes extraordinaires. Il n’en a pas fait une rareté surprenante. Ce petit garçon, vous le verriez parmi d’autres et ne le distingueriez pas sur-le-champ de tous les autres. Cependant il a une âme et, par-là, se distingue, lui, de tous les autres, qui ont aussi leurs âmes, chacun la sienne. Or, la particularité d’une âme est un prodige familier. Sans le dire, l’auteur de l’Élève Gilles nous le montre à merveille. Son livre a cette poésie, de nous rendre attentifs à une vérité de tous les jours, étonnante et que nous n’examinons pas.

Gilles demeure chez son père et sa mère, dans une petite ville. Mais, un matin d’hiver, il apprend que sa mère va le conduire chez une grand’tante, aux soins de qui on le confie d’habitude pour les semaines les plus chaudes de l’été. Cette brusque nouvelle, sans le bouleverser, le surprend. Pourquoi ce changement ? Il se le demande ; puis il renonce à chercher ce qui lui échappe. Tant de choses seraient de nature à le déconcerter, en ce monde, qu’il accepte sans trop de curiosité les faits et leur accorde son obéissance. Avant de partir, il ne voit pas son père. Au déjeuner, son père n’a point paru, étant las, prenant du repos. La veille au soir, pendant le dîner, comme son père était présent, Gilles s’appliquait à se bien tenir. Cette contrainte eut pour conséquence une maladresse : il renversa son verre et fit sur la nappe une longue tache d’eau rougie. Son père eut un sursaut, pâlit, se leva et s’enferma dans le salon, où il se mit à jouer une sonate qu’il étudiait depuis longtemps. Et Gilles s’en va donc. Sa mère l’accompagne. Sa grand’tante, avec une servante qui s’appelle Segonde, habite un petit domaine de La Grangère. L’existence est là paisible. Gilles ne regrette pas du tout la société bizarre de son père. Il regrette sa mère, cruellement. Après l’avoir amené, elle est retournée chez elle. De temps en temps, elle vient le voir ; mais, vite, il faut qu’elle s’en aille. Un soir, elle lui a bordé son lit ; le lendemain, quand il se réveille, elle est partie. Des chagrins succèdent ainsi à des joies. Et Gilles raconte les chagrins et les joies : il insiste peu et dit à demi-mot ce qu’il éprouve amèrement. Il a observé que sa tante et sa mère, causant devant lui, ont un langage évasif : par momens, les yeux font des questions ou des réponses, les yeux et non pas les lèvres ; questions ou réponses que les deux dames comprennent et qu’il n’essaye pas de comprendre. Il n’essaye pas de