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REVUE LITTÉRAIRE

L’UN DE NOS MORTS : ANDRÉ LAFON[1]

Mélancolique et noble destinée d’un jeune homme : un don charmant de poésie, les vertus simples du labeur quotidien, la récompense, un peu de gloire déjà, puis, à trente ans, la mort. Il y a, dans l’histoire courte d’André Lafon, de brusques événemens, des sautes de bonheur et de malheur qui font un singulier contraste avec la douceur calme de son âme et avec son talent tout uni. Je l’ai connu ; c’était un grand garçon qui souriait sans gaieté, qui ne montrait pas non plus de tristesse, et qui semblait se contenter des jours, quels qu’ils fussent, comme s’il n’avait point espéré davantage et comme s’il ne redoutait rien ici-bas, même la pauvreté, qu’il endura facilement. Son premier roman lui valut des admirateurs, un « grand prix de littérature, » et des objections. Tant de bruit ne le troubla guère. Il continua sa vie modeste de répétiteur dans une école religieuse. On le rencontrait, les jeudis, conduisant le long des avenues, sous les arbres, à Neuilly, la promenade des élèves. Il rêvait son deuxième roman, — le roman d’une jeune fille après celui d’un petit collégien ; — et il mit deux ans à l’écrire. Il le publia au mois de juin de l’année dernière, six semaines avant la guerre. Il fut soldat ; et il n’eut pas la chance d’aller au feu. Mais il était encore à son dépôt, lorsque le prit la maladie. Il est mort à l’hôpital militaire, sans désespoir, avec la même patience qui avait été son art et son habitude.

A peine son œuvre est-elle commencée : il était si jeune et il ne se

  1. La Maison sur la rive (Perrin, éditeur.) Du même auteur, Poèmes provinciaux (édition du Beffroi) ; La maison pauvre, poème (Bibliothèque du Temps présent) ; L’élève Gilles, roman (Perrin, éditeur).