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Ils étaient excellens à la guerre à découvert : ils ont dû subir la guerre de taupes, et s’y sont faits parfaitement. Ils ont la souplesse et la plasticité requises, et l’ont bien montré. Et, sans doute, l’ennemi qui a cru devoir chercher un refuge dans les méthodes du génie, doit regretter à plus d’un point de vue la leçon qu’il nous a donnée.

Le but de la guerre est de vaincre, d’imposer sa volonté, d’amener la décision. Or la guerre de tranchées ne fait que retarder cette décision. C’est un de leurs généraux qui l’a dit. Voici ce qu’écrit Bernhardi : « Dans tous les cas, les positions fortifiées se sont montrées incapables de procurer le succès qui est l’objet de toute guerre… » Il dit encore : « Dès qu’Osman (à Plewna) se fut laissé river à ses positions, il cessa d’être vraiment dangereux. » Et ailleurs : « Au point de vue tactique, la fortification augmente les avantages de la défense frontale, mais augmente aussi grandement les inconvéniens. D’abord, les retranchemens portent toujours à accorder plus de valeur à la protection qu’à l’action. Puis ils rendent à peu près impossibles les changemens de front et le passage à l’offensive, car ces deux opérations contiennent un renoncement à la protection dont précisément on attend le salut. Pour l’assaillant, il se dégage de tout ceci, qu’il ne doit pas se laisser attacher par les positions fortifiées, quand il peut l’éviter ; il ne ferait que se soumettre à la loi de l’adversaire. Il doit, au contraire, tâcher d’entourer la position et, par là, de la rendre inoffensive. Par là seulement on peut garder le fier privilège de l’initiative, même en présence d’un ennemi terré. »

Depuis que la guerre de tranchées a été inaugurée, les positions ne changent plus, et l’assaillant a perdu « le fier privilège » dont par le Bernhardi. Il en est réduit à se défendre et sait que le temps travaille contre lui. La guerre de tranchées, c’est la fin de l’agresseur. Dans le cas présent, il est devenu assiégé, et l’assiégé succombe toujours avec le temps : pensée fortifiante, qui nous fait accepter une méthode si étrangère à notre tempérament, et qui semble arriérée et désuète. Arriérée, au sens d’ancien, c’est certain ; désuète, pas du tout. La guerre de tranchées s’est faite à toutes les époques, et elle se fera encore, au moins autant que par le passé. La campagne de 1914-1915 lui donnera un regain de faveur. A la guerre il faut avancer, mais il est plus essentiel de ne pas reculer ; cette considération