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ne permettait pas non plus à Minola de faire dormir le favori au pied de son lit.

Malgré ses instances réite’re’es et malgré ses prières, le vieux comte Gaminosoff lui-même faisait la sourde oreille, et, il faut bien le confesser, il arriva un jour que les courtisans durent détourner discrètement les yeux pour ne pas voir leur souveraine en sanglots verser des larmes cruelles sur une belle robe étrennée pour la première fois.

Minola dut céder. Mais elle se consola en faisant construire tout à côté de sa chambre, pour son favori, une stalle merveilleuse séparée d’elle seulement par une grande baie vitrée. C’était une stalle charmante en vérité, toute de mosaïque blanche, brillante comme la glace, avec une large frise semée d’aigles d’or, les aigles surmontés de couronnes et séparés par les flèches de jais des armoiries royales. Sous les sabots du cheval divin, on étendait deux fois par jour, au lieu de paille, des fleurs fraîchement cueillies, roses au doux parfum, marguerites au cœur d’or, blanches clématites, trèfle à l’arôme mielleux, et de pâles pensées nacrées, et de sombres œillets pourprés, enfin toutes les fleurs qui font la magnificence des mois d’été.

Cependant Minola donnait des ordres sévères pour que les fleurs fussent d’une seule espèce à la fois. Les jardiniers royaux murmuraient, se lamentaient sur ce pillage quotidien des parterres ; le bruit courait même, dans tout le palais, que le grand chef, se croyant seul, s’était permis de jurer à haute voix, comme un païen, mais personne n’osait l’affirmer.

Heureusement, ces plaintes n’arrivaient point aux oreilles royales, et quand Minola, belle et radieuse, montée sur son coursier blanc, parcourait son domaine, elle ne rencontrait que des visages épanouis et des échines profondément courbées. Bien entendu, on ne laissait pas Minola errer toute seule à l’aventure, mais, par la force de l’usage, sa suite restait toujours à une distance respectueuse, de sorte qu’elle pouvait se croire isolée et savourer toute la douceur de son bonheur récent. Moona, tel était le nom choisi par la Reine pour son cheval, car elle soutenait qu’il était descendu de la lune, pétri de ses brillans rayons confondus avec l’écume des vagues sur lesquelles il galopait lors de son apparition.